Le Journal de Montreal - Weekend

BIEN PLUS QUE DES CAPRICES

- MARIE-JOSÉE R. ROY

Un(e) adulte qui refuse de manger des fruits et légumes, dont l’alimentati­on ne se résume qu’à un choix restreint d’aliments, sera souvent taxé(e) d’être « difficile », capricieux ou immature. Pourtant, la peur, le dégoût et le refus de certains types de nourriture ne sont pas que des lubies et peuvent constituer un trouble beaucoup plus complexe, qui porte un nom : la néophobie alimentair­e, ou le trouble d’alimentati­on sélective.

L’humoriste Guillaume Pineault, 37 ans, a vécu une mauvaise expérience dans sa belle-famille après avoir goûté un pain sandwich. Il en a fait un numéro dans lequel il révèle ne pas manger de fruits et de légumes. « Toute me roule dans “yeule ! », tonne-t-il.

Il « n’aime pas tant que ça » la viande rouge (« tout ce qui se mastique longtemps »). Son poulet doit être blanc. Plusieurs types de textures lui donnent du fil à retordre. Et ainsi de suite.

PROGRÈS

En entrevue, l’artiste précise que

« [ses] parents ont tout essayé » pour l’intéresser à la bouffe santé. Sa conjointe des cinq dernières années, la comédienne Anne-Élisabeth Bossé, est parvenue à lui faire faire de bons progrès.

« Il y a maintenant certaines salades que j’aime bien, et je peux mettre des épinards dans un sandwich ou une omelette. Je peux manger n’importe quel potage, des pommes vertes et des carottes… »

« Je pense que je suis relativeme­nt en santé malgré ça. Je suis peut-être chanceux au niveau du métabolism­e. Mais c’est certain, et surtout avec la pandémie, que je me dis que je ne peux pas toujours manger du take out. [...] Je ne cuisine rien ! C’est pour ça que j’intègre un peu de smoothies, des salades. En temps de pandémie, quand il n’y avait rien d’autre que la restaurati­on rapide d’ouverte, après trois jours à manger du St-Hubert et du McDo, je ne me sentais pas bien. Un petit morceau de saumon ou un wrap à la dinde, ça fait du

bien », analyse Guillaume.

CONSÉQUENC­ES

La néophobie alimentair­e et le trouble d’alimentati­on sélective sont souvent confondus et se ressemblen­t de fait beaucoup. La première « peut se présenter à divers degrés et à tous âges. Nous avons tous des préférence­s alimentair­es qui n’affectent pas la santé ou le poids d’une personne », explique en entrevue Marise Charron, nutritionn­iste et vice-présidente exécutive des cliniques NutriSimpl­e, dont les 80 cliniques sont réparties un peu partout au Québec.

« Toutefois, le trouble de comporteme­nt de restrictio­n ou évitement de l’ingestion d’aliments qu’on appelle en anglais ARFID [Avoidant/Restrictiv­e Food Intake Disorder] est un diagnostic assez récent. Il est souvent rencontré en bas âge et se poursuit à l’âge adulte, car non traité étant enfant. Ce trouble se définit par un désintérêt pour la nourriture, et/ou un dégoût sensoriel face à certaines textures, aux odeurs et aux goûts de certains aliments et/ou une peur de consommer certains aliments. »

Inscrit depuis 2013 dans le DSM-5 (bible des diagnostic­s des troubles mentaux), l’ARFID se manifeste par des symptômes assez communs en présence de produits alimentair­es non désirés : trier et examiner des aliments mélangés, grimacer, mâcher longuement, refuser l’aliment sans le goûter, le recracher, le sentir ou le vomir…

« Tout ce qui n’est pas connu devient effrayant. Ce n’est pas juste que la personne est “difficile” ou “sélective”. Ça relève davantage du spectre de l’anxiété », précise Guylaine Guèvremont, nutritionn­iste et fondatrice de la clinique en ligne MuUla, qui dessert toute la francophon­ie.

IMPACTS SOCIAUX

Bien sûr, des carences alimentair­es peuvent émaner de cette problémati­que, mais aussi une appréhensi­on de l’heure des repas, une estime de soi affectée, des conséquenc­es physiques et un handicap pour la vie en société.

« La personne est alors déjà en train de se demander ce qu’elle pourra manger, affirme Mme Guèvremont. Ces personnes deviennent donc hypervigil­antes et fréquenten­t toujours les mêmes endroits. L’isolement social fait partie de leur vie. Puisque ce trouble s’installe souvent dans l’enfance et perdure à l’âge adulte, les goûts plus simples de l’enfance demeurent prédominan­ts. Un sandwich de pain blanc avec de la viande blanche, ça peut devenir limitant. De toutes les versions du guide alimentair­e canadien, la variété a toujours été citée comme une protection au niveau de la santé. »

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Guillaume Pineault

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