Le Journal de Montreal - Weekend
NE PARLE PAS AUX INCONNUS ! VRAIMENT ?
Nos parents nous ont souvent répété la leçon, et nous l’avons transmise à nos enfants : « Ne parle pas aux étrangers ! » Ce qui sous-entendait que chaque inconnu était forcément une menace potentielle, plaçant sur le même pied un individu louche et une personne aimable cherchant à rendre service.
Des années plus tard, à l’âge adulte, plusieurs ont gardé cette appréhension à l’égard des étrangers. Mais à trop vouloir nous protéger, ne perdons-nous pas quelque chose ? Cette mise en garde a en effet une influence sur beaucoup de gens, les privant parfois – et peutêtre souvent – de rencontres agréables, étonnantes, même si elles étaient éphémères. Plus récemment, même la pandémie s’en est mêlée, rendant l’autre potentiellement dangereux et nous imposant de nous tenir à deux mètres les uns des autres !
DONNER SA CHANCE
Pourtant, beaucoup de gens ne rechignent pas à l’idée de bavarder pour le plaisir, à interagir avec d’autres, partager un bonjour, un commentaire sur la météo ou à s’intéresser au chien que l’on promène. Ces échanges peuvent paraître bien anodins, mais ils sont pourtant bienfaisants. Ils nous sortent momentanément de notre solitude ou de l’ennui, nous font sentir bien, et souvent, peuvent redonner le sourire en nous sortant de nos soucis du moment.
Dans certains cas, il est possible que l’on ne veuille pas s’entretenir avec un inconnu, lorsque l’on est plus fatigué, par exemple. Mais il faut aussi se souvenir que dans d’autres circonstances, on est ouvert aux nouvelles rencontres, aux discussions et aux échanges inattendus : l’autre peut l’être tout autant !
UN EXERCICE TROP PÉRILLEUX ?
Il peut sembler difficile de changer des habitudes bien ancrées, de nous défaire des manières de penser qui semblent relever de l’évidence. Pourtant, nous n’avons pas grand-chose à perdre à rendre service à une personne âgée dans les transports collectifs, à sourire à un passant, à complimenter une personne élégante, ou à offrir un mot aimable à un serveur ou un agent de sécurité.
On peut se demander ce qui nous freine à jouer la carte de l’amabilité dans des environnements qui gagneraient pourtant à répandre plus de chaleur humaine. Car amorcer une conversation sur la campagne électorale avec un quidam ou s’intéresser au livre qu’il tient dans sa main peut ouvrir la porte à l’inédit, à l’imprévisible. Ou procurer un apaisement : celui d’un contact bref, mais authentique, avec un autre être humain.
Certes, la personne à qui l’on s’adresse ne nous connaît pas, et nous n’avons aucune idée préconçue sur elle. Il est possible d’émettre quelques hypothèses selon son âge ou son apparence, mais cette nouvelle personne apparaît surtout comme une page blanche. Les jugements sont ainsi réduits au minimum, ce qui peut faciliter davantage les échanges.
LE BEAU RISQUE
Nous avons tous un mauvais souvenir de voisin turbulent ou trop bavard dans l’avion ou l’autobus. Plusieurs d’entre nous, timides ou misanthropes, préfèrent ne courir aucun risque, réfugiés derrière un ordinateur, un téléphone, et surtout avec des écouteurs bien rivés aux oreilles. Le message est sans équivoque : prière de ne pas déranger ! Pourtant, même un court échange peut mettre du soleil dans une journée !
C’est parfois pénible ou la conversation risque de rapidement s’essouffler ? Possible, mais combien de gens qui se parlent pour la toute première fois de leur vie se découvrent des points communs, ont eu des expériences ou des réflexions similaires, ou ont vécu au même endroit ? De plus, le fait de parler à un inconnu (intéressé et bienveillant, bien entendu !) peut nous permettre de partager certaines confidences plus aisément. Quand on sait qu’il s’agit d’une rencontre de circonstance, en voyage par exemple, la spontanéité et le plaisir prennent le pas !
S’ouvrir à la présence d’une personne étrangère avec qui on partage un même espace pendant un temps plus ou moins défini peut s’avérer une expérience aux nombreux bienfaits. À commencer par s’accorder une pause de nos soucis pour être à l’écoute de l’autre, et la surprise de réaliser qu’une personne étrangère n’est peut-être pas si étrangère à notre réalité quotidienne, de même qu’à nos défis personnels.
Et n’oublions jamais que ceux et celles qui tissent aujourd’hui notre réseau social, qu’il soit amical ou professionnel, étaient en vaste majorité… des étrangers. Ils ne le sont plus parce que nous avons su faire le premier pas pour les inclure dans notre vie.