Le Journal de Montreal - Weekend

NE PARLE PAS AUX INCONNUS ! VRAIMENT ?

- Dre CHRISTINE GROU

Nos parents nous ont souvent répété la leçon, et nous l’avons transmise à nos enfants : « Ne parle pas aux étrangers ! » Ce qui sous-entendait que chaque inconnu était forcément une menace potentiell­e, plaçant sur le même pied un individu louche et une personne aimable cherchant à rendre service.

Des années plus tard, à l’âge adulte, plusieurs ont gardé cette appréhensi­on à l’égard des étrangers. Mais à trop vouloir nous protéger, ne perdons-nous pas quelque chose ? Cette mise en garde a en effet une influence sur beaucoup de gens, les privant parfois – et peutêtre souvent – de rencontres agréables, étonnantes, même si elles étaient éphémères. Plus récemment, même la pandémie s’en est mêlée, rendant l’autre potentiell­ement dangereux et nous imposant de nous tenir à deux mètres les uns des autres !

DONNER SA CHANCE

Pourtant, beaucoup de gens ne rechignent pas à l’idée de bavarder pour le plaisir, à interagir avec d’autres, partager un bonjour, un commentair­e sur la météo ou à s’intéresser au chien que l’on promène. Ces échanges peuvent paraître bien anodins, mais ils sont pourtant bienfaisan­ts. Ils nous sortent momentaném­ent de notre solitude ou de l’ennui, nous font sentir bien, et souvent, peuvent redonner le sourire en nous sortant de nos soucis du moment.

Dans certains cas, il est possible que l’on ne veuille pas s’entretenir avec un inconnu, lorsque l’on est plus fatigué, par exemple. Mais il faut aussi se souvenir que dans d’autres circonstan­ces, on est ouvert aux nouvelles rencontres, aux discussion­s et aux échanges inattendus : l’autre peut l’être tout autant !

UN EXERCICE TROP PÉRILLEUX ?

Il peut sembler difficile de changer des habitudes bien ancrées, de nous défaire des manières de penser qui semblent relever de l’évidence. Pourtant, nous n’avons pas grand-chose à perdre à rendre service à une personne âgée dans les transports collectifs, à sourire à un passant, à compliment­er une personne élégante, ou à offrir un mot aimable à un serveur ou un agent de sécurité.

On peut se demander ce qui nous freine à jouer la carte de l’amabilité dans des environnem­ents qui gagneraien­t pourtant à répandre plus de chaleur humaine. Car amorcer une conversati­on sur la campagne électorale avec un quidam ou s’intéresser au livre qu’il tient dans sa main peut ouvrir la porte à l’inédit, à l’imprévisib­le. Ou procurer un apaisement : celui d’un contact bref, mais authentiqu­e, avec un autre être humain.

Certes, la personne à qui l’on s’adresse ne nous connaît pas, et nous n’avons aucune idée préconçue sur elle. Il est possible d’émettre quelques hypothèses selon son âge ou son apparence, mais cette nouvelle personne apparaît surtout comme une page blanche. Les jugements sont ainsi réduits au minimum, ce qui peut faciliter davantage les échanges.

LE BEAU RISQUE

Nous avons tous un mauvais souvenir de voisin turbulent ou trop bavard dans l’avion ou l’autobus. Plusieurs d’entre nous, timides ou misanthrop­es, préfèrent ne courir aucun risque, réfugiés derrière un ordinateur, un téléphone, et surtout avec des écouteurs bien rivés aux oreilles. Le message est sans équivoque : prière de ne pas déranger ! Pourtant, même un court échange peut mettre du soleil dans une journée !

C’est parfois pénible ou la conversati­on risque de rapidement s’essouffler ? Possible, mais combien de gens qui se parlent pour la toute première fois de leur vie se découvrent des points communs, ont eu des expérience­s ou des réflexions similaires, ou ont vécu au même endroit ? De plus, le fait de parler à un inconnu (intéressé et bienveilla­nt, bien entendu !) peut nous permettre de partager certaines confidence­s plus aisément. Quand on sait qu’il s’agit d’une rencontre de circonstan­ce, en voyage par exemple, la spontanéit­é et le plaisir prennent le pas !

S’ouvrir à la présence d’une personne étrangère avec qui on partage un même espace pendant un temps plus ou moins défini peut s’avérer une expérience aux nombreux bienfaits. À commencer par s’accorder une pause de nos soucis pour être à l’écoute de l’autre, et la surprise de réaliser qu’une personne étrangère n’est peut-être pas si étrangère à notre réalité quotidienn­e, de même qu’à nos défis personnels.

Et n’oublions jamais que ceux et celles qui tissent aujourd’hui notre réseau social, qu’il soit amical ou profession­nel, étaient en vaste majorité… des étrangers. Ils ne le sont plus parce que nous avons su faire le premier pas pour les inclure dans notre vie.

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