Le Journal de Montreal - Weekend
LE GAI SAVOIR*
Pandémie ou pas, septembre a sonné l’heure de la rentrée scolaire. Cet ouvrage jouissif au sous-titre intrigant — enseigner pour se venger, alors que le « Victor » du titre fait référence à Victor Hugo avec qui l’auteur partage certaines opinions —, écrit
Limoges entend donc secouer les colonnes du temple en dénonçant notre façon actuelle d’enseigner, « terne, fade, morne, dépourvue de joie et de plaisir, un enseignement reposant sur l’humiliation et la punition — sur la “correction” —, un enseignement qui nous prépare à tout sauf à penser, à développer notre sens critique, à exercer notre jugement et à remettre en question les structures mêmes qui le permettent ». Dur constat.
Tenir un tel discours n’est pas de nature à se faire des amis dans le milieu de l’enseignement, là où sévissent ces « maître[sse]s » qui ignorent tout, « non seulement à la matière enseignée, mais aussi à la manière de l’enseigner », et les directeurs des maisons d’enseignement ne sont, en général, guère portés à repêcher cette jeune recrue pas reposante, comme le laisse sous-entendre Alain Deneault, en préface.
Dans sa diatribe, Limoges, homme de lettres, fait appel à Victor, pour qui les écoles ne sont que « monastères sourds, bouges, prisons haïes ». Aussi, n’a-t-il pas honte d’afficher, lui aussi, sa détestation de l’école et de ces « visages à deux faces […] maîtres ès incompétences » qui y sévissent, sans que cela se traduise par un éloge de la « cancritude » ou de l’anti-intellectualisme.
« Du plus loin que je me souvienne, affirme-t-il, j’ai toujours aimé apprendre, mais je n’ai jamais aimé l’école. Cherchez l’erreur. »
Limoges a été élevé à la dure, à coup de claques, comme la majorité des Québécois issus des quartiers ouvriers montréalais, au tournant des années 1970. L’école représentait une délivrance pour sa mère qui n’avait plus ainsi à endurer sa progéniture à la maison. Pour Limoges, c’était « quitter une cellule pour entrer dans une autre ». Très tôt, ses professeurs se chargèrent de lui enlever tout plaisir d’apprentissage. Ainsi, le français, matière première, devenait quelque chose de « compliqué » à maîtriser. Et toujours planait la menace d’une punition en cas d’échec. « Moi qui avais enfin entrevu la possibilité de parler sans recevoir de claques, je pouvais recevoir des claques sans même avoir à parler. Cette langue […] allait donc nous devenir complexe, compliquée, alambiquée, quintessenciée au possible, repoussante, répugnante, rébarbative et peut-être, qui sait, par la suite, inutile, sinon inutilisable. »
TOUT POUR REBUTER
Avec de nombreux exemples à l’appui, l’auteur déplore que dès les premières années scolaires, l’institution fait tout le contraire pour rendre l’apprentissage joyeux et divertissant. Pas étonnant que nous connaissions un taux élevé de décrocheurs. Il va même jusqu’à accuser ses « Maîtres et Maîtresses » d’intimidation. « Nous étions sans cesse stoppés dans l’utilisation de cette langue qui devait pourtant être, pour la pensée, un salutaire véhicule », conclut-il.
Après des études universitaires avancées (baccalauréat, maîtrise et doctorat), l’auteur exercera dix mille métiers qui n’ont rien à voir avec ses compétences universitaires, de livreur et éboueur à sous-titreur de films pornos, en passant par sondeur, fossoyeur, guide touristique et j’en passe. L’aspirant enseignant a finalement abouti dans un collège comme remplaçant d’un prof qui avait craqué en cours de route devant un groupe d’étudiants qui lui faisait la vie dure. Cette première expérience dura l’espace d’un cours ! Le professeur Limoges, qui avait pourtant réussi à capter l’attention de sa classe, ne cadrait pas dans le décor.
En moins de deux cents pages, en se basant sur sa propre expérience, Limoges dresse un portrait ravageur de notre système d’éducation. Il faut l’écouter.