Le Journal de Montreal - Weekend
LA CONQUÊTE AMOUREUSE
SOUS L’OEIL DU PUBLIC
L’amour est indispensable à la race humaine. Être aimé, conquérir, partager ses valeurs et sa vie nous préoccupe tous à un certain niveau. Il n’est donc pas étonnant que les émissions qui mettent la conquête amoureuse au premier plan ne s’essoufflent pas. Mais qu’est-ce qui pousse les candidats à se commettre, au risque de subir le rejet, sous le regard d’un public voyeur et pas toujours bienveillant ?
« La téléréalité est une plateforme pour des gens qui ne sont pas connus et comble l’aspect à l’américaine du 15 minutes de gloire, observe François Renaud, sexologue, psychothérapeute, directeur et superviseur clinique lesexologue.ca. Dans les téléréalités amoureuses, je ne doute pas que les candidats cherchent une relation. Ils ont de la difficulté à trouver un partenaire intéressant et espèrent que les gens approchés pour la télé le soient. Il y a un aspect très “disneyesque”. Ce sont des gens qui généralement aiment être dans l’oeil du public. »
Dania Ramirez est psychologue clinicienne et psychologue consultante pour l’émission Occupation Double.
Des candidats, elle en rencontre. « La téléréalité s’intéresse aux comportements humains. On parle d’identification et c’est pour ça que ça fonctionne bien. Les participants s’y inscrivent d’abord pour le rêve, pour la popularité que ça va apporter, la gloire, la notoriété. Ils sont extravertis, à l’aise dans leurs corps, ont confiance en eux et aiment l’idée de s’exposer. Ça intéresse particulièrement les jeunes adultes qui cherchent à asseoir leur carrière. Dans un deuxième temps, ce genre d’émission permet de trouver l’amour, de développer des amitiés, d’avoir un sentiment d’appartenance à un groupe. Enfin, ce qui revient souvent dans le discours des participants c’est la recherche d’une expérience nouvelle, d’une possibilité de sortir de leur zone de confort. »
ÊTRE VRAI
Dans la conquête amoureuse, il faut être vrai. Or, avec des caméras braquées sur nous, est-ce possible de l’être réellement ? « La rencontre amoureuse se fait normalement dans le domaine du privé, rappelle Dania Ramirez. C’est une situation déstabilisante et stressante quand on la vit seul, mais quand un participant s’expose, il s’expose aussi au jugement. Il ne montre d’ailleurs qu’une facette de lui-même et peut montrer un côté dont il est moins fier. Le contexte est inhabituel, les réactions sont inhabituelles. En plus, les participants vivent isolés, l’expérience et le contexte les forcent à être proches rapidement. »
La mise en scène accélère les rencontres dont nous ne sommes témoins que des meilleurs moments. « On ne peut pas juger de l’authenticité ni de l’intégrité des gens, observe François Renaud. N’importe quelle forme de média façonne l’amour et la sexualité même si on sait pertinemment que ce n’est pas vrai. La production choisit les candidats pour leur image, choisit les scènes, la façon dont chacun colle à l’histoire. Le téléspectateur enregistre ces histoires-là et les romantise. Ça donne l’impression que l’amour se construit rapidement. Le coup de foudre, c’est d’être en amour avec son propre fantasme alors que tu ne connais rien de l’autre. »
LES RISQUES DU « MÉTIER »
Être scruté par un public affamé de sensations fortes comporte certains
risques. Dania Ramirez accompagne d’ailleurs les participants d’Occupation
Double dès leur sélection et les suit alors qu’ils réintègrent leur vie normale. « Vivre avec le regard des autres, faire face à la critique et à ce qui se dit sur les réseaux sociaux, peu importe leur parcours, dédramatiser et retrouver sa propre identité font partie des risques. C’est important pour eux de rester connectés sur ce qui s’est bien passé.
Ce que plusieurs participants trouvent difficile est de visionner les épisodes, poursuit la psychologue. Il arrive qu’il y ait une confrontation avec ce qui s’est passé et comment ils se voyaient. Ils doivent s’accueillir dans l’imperfection. Ceci étant dit, dans la majorité des cas tout se déroule bien et plusieurs profitent de l’expérience et de leur notoriété. Il ne faut jamais oublier que tout ça est un jeu. »
Comme le remarque le psychothérapeute François Renaud, avec le temps tout s’estompe et au final, on ne rappelle souvent que des gagnants.
HORS DE L’ORDINAIRE
Être diverti, s’identifier à un phénomène de société et voir comment réagissent des gens ordinaires dans des situations où il y a une certaine prise de risque et où l’on peut se montrer vulnérable assure la popularité des téléréalités dites de dating. Les lieux sont paradisiaques, il y a de la curiosité. Certaines émissions nous appellent à voter ce qui nous donne un certain pouvoir. Les candidats deviennent des influenceurs dont on peut joindre la communauté. Mais attention de ne pas biaiser nos propres relations.
« Les scènes sont courtes, entrecoupées, reflètent l’impression de ce qu’est une relation sexuelle. Il y a des téléréalités qui sont de la pornographie soft, affirme François Renaud. Le sexe, ça vend. Mais on ne montre pas suffisamment ce qu’est la séduction ou ce qu’est le consentement. » Bref, il faut s’en inspirer pour s’amuser, mais pas pour idéaliser son propre couple !