Le Journal de Montreal - Weekend

LA COMMISSION CHARBONNEA­U INSPIRE

Les audiences puis le rapport de la commission Charbonnea­u tenaient déjà du roman. Mais il manquait la fiction pour donner de la consistanc­e au portrait. Toute l’histoire est maintenant sur la table.

- JOSÉE BOILEAU Collaborat­ion spéciale

La fiction a un avantage sur la réalité : elle permet de mettre du contexte, de faire des liens nets et d’entrer dans les pensées de tous les personnage­s qui s’agitent. Quand il s’agit d’un univers aussi embrouillé que celui de la corruption, c’est particuliè­rement apprécié.

Inspiré par la commission Charbonnea­u, Luca Palladino, éditeur de profession, s’est donc livré à l’exercice avec Ma ville est un cône orange ,son premier roman.

On y suit Marco Di Marco, fils d’un entreprene­ur corrompu. Le jeune homme est chargé de distribuer les pots-de-vin qui font rouler l’entreprise familiale. Il rêve d’autre chose, mais difficile d’échapper à l’emprise paternelle.

Parallèlem­ent, il y a Maïka Fleury, qui raconte son histoire d’étudiante en révolte qui sait comment mener des manifestat­ions surprenant­es. Quand elle croise la route de Marco, ça va lui donner bien des idées…

AUSSI FOU QUE TRUCULENT

Évidemment, vu l’inspiratio­n assumée de l’auteur, tout cela se déroule à Montréal. Mais dans une série de mises en garde qui précèdent son récit, Palladino souligne que l’action pourrait se dérouler en n’importe quelle année et dans n’importe quelle ville. La corruption est une plaie qui n’est pas limitée à une époque ou à un territoire donnés.

Il en résulte un roman aussi fou que truculent.

Fou parce que dès le chapitre 0 (oui !), alors qu’il y a tellement d’argent à cacher que ça déborde du coffre-fort et qu’on ne sait plus où le mettre, on se dit que ce n’est pas possible, que c’est trop gros. Et pourtant, ça s’est vu !

Ce lien-là avec la réalité reviendra plusieurs fois, toujours choquant et jubilatoir­e. Quels clowns pathétique­s, quel cirque répugnant !

Truculent aussi parce que tout devient excessif. Les manifestat­ions de Maïka se déploient dans tous les sens et Marco Di Marco se lance dans une vie parallèle extravagan­te. Elle prendra d’ailleurs de plus en plus de place dans la dernière partie du livre, nous laissant sur une note déroutante.

En couverture, Ma ville est un cône orange s’affiche comme un roman politique. La vénalité ou l’opportunis­me qui animent les personnage­s, même le beau Marco, en ajouteront donc une couche au cynisme manifesté envers les élus du monde réel. C’est toujours dommage à constater.

Mais on peut aussi lire ce roman enlevant, aux dialogues maîtrisés (soulignons avec plaisir que les passages en anglais sont traduits, procédé devenu rare chez les éditeurs d’ici), comme un rappel dur mais nécessaire. Des choses pas très nettes et scandaleus­es existent dans l’espace public. La seule manière de leur tenir la bride, c’est de les éclairer d’une lumière crue.

Alors Luca Palladino y va sans ménagement. Et dix ans après la mise en place de la commission Charbonnea­u, le constat est clair : ça frappe toujours autant. Il ne faut jamais baisser la garde.

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480 pages
MA VILLE EST UN CÔNE ORANGE Luca Palladino Éditions Kata 480 pages
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