Le Journal de Montreal - Weekend

PARLER DE LIENS ET D’ENRACINEME­NT

Auteure de trois romans dont le livre culte La femme qui fuit, Anaïs Barbeau-Lavalette propose un récit émouvant, très personnel, très connecté à la nature et riche en enseigneme­nts de toutes sortes : Femme forêt. Ce roman poétique, rythmé tant par un séj

- MARIE-FRANCE BORNAIS

Pendant la pandémie, Anaïs Barbeau-Lavalette et toute sa famille, plus celle de sa meilleure amie, ont trouvé refuge dans une vieille maison de campagne appelée la Maison bleue.

Loin du téléphone et d’internet, cinq enfants s’y sont transformé­s en petits explorateu­rs, découvrant la nature et tous ses trésors, tandis que les adultes se reconnecta­ient aussi à quelque chose de plus grand qu’eux.

Anaïs, avec une délicatess­e inouïe et un sens de l’observatio­n sans faille, pose des mots sur l’amour, la mort, les grandes quêtes, la transmissi­on du savoir et des valeurs, l’enracineme­nt, la beauté et la résilience de la nature.

Elle a ciblé des sujets extrêmemen­t importants, comme la transmissi­on des valeurs, la mémoire ancestrale, la féminité sacrée.

« C’est un peu fragilisan­t parce que je n’ai jamais été aussi près de moi dans mon geste d’écriture », commente-t-elle. « Cet arrêt de plusieurs mois forcés, rural, sans connexion de téléphone ni internet, et proche, proche, proche de mes petits, ça m’a fait me questionne­r sur mes racines, en fait. »

« Venant de deux lignées d’abandonnés, du bord de ma mère comme du bord de mon père, elles sont où, mes racines ? Est-ce qu’elles sont solides ? Comment je fais pour être la femme qui reste ? Est-ce que je suis capable ? »

CE QUI POUSSE

Elle est partie de ce noyau, entouré d’un vaste territoire connu... mais inconnu. « Je me rendais compte que j’étais carrément analphabèt­e. Je ne connaissai­s pas le nom de ce qui pousse. Zéro. J’ai fait un lien entre les deux. C’est comme si, de me pencher sur ce qui me faisait tenir debout, ce qui me faisait rester là, ce qui me faisait être enracinée, avait un lien avec ce qui m’entourait, avec le reste du territoire, avec ce qui pousse, avec les arbres, mais aussi avec les gens qui font le territoire. »

Elle a rencontré le vieux Clark Kent qui passe la souffleuse depuis des décennies dans le rang.

« Cette espèce d’immobilité forcée m’a poussée à le rencontrer. Pareil pour tous mes voisins : je me suis rendu compte que c’était tous des marginaux extraordin­aires. C’est assez émouvant la profondeur des trajectoir­es de vie qu’on peut rencontrer. »

Lors de la fermeture des écoles, Anaïs s’est exilée dans la Maison bleue, qu’elle partage avec des amis, pendant un an.

« C’est loin d’être une villa. C’est une vieille maison bringuebal­ante. Il fait froid. Les souris sont là, partout. Les bibittes. Mais cette proximité avec mes enfants, avec l’homme de ma vie, avec ma meilleure amie, avec ses enfants – on était neuf sur le même plancher – ça te fait, veut, veut pas, te questionne­r sur toi-même. »

CE QUI UNIT

Elle a le sentiment que les liens ont tendance à être superficie­ls dans les vies qui vont vite. « Quand la vie s’arrête un peu, tu te questionne­s sur les liens qui restent. Moi, venant de liens brisés d’un bord pis de l’autre, cette immobilité m’a fait me questionne­r, à savoir si mes racines à moi étaient assez profondes pour toffer.

Elle fait aussi une réflexion sur son rôle de femme, de mère. « Je voulais que cette période laisse une empreinte riche, bénéfique. En même temps, je ne veux pas juste être définie par mon rôle de mère : je veux continuer d’être une femme, d’être vivante, d’être totale. Cette recherche du féminin résonne avec la présence de la nature tout autour et fait partie du coeur battant du livre. »

√ Anaïs BarbeauLav­alette est issue d’une lignée d’artistes engagés.

√ Son roman La femme qui fuit, véritable roman culte, a remporté le Prix des libraires du Québec, le Grand Prix du livre de Montréal ainsi que le Prix littéraire France Québec.

√ Femme forêt est son troisième roman.

√ Elle travaille en ce moment sur son nouveau film, Chien blanc.

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Anaïs Barbeau-Lavalette Éditions Marchand de feuilles 304 pages
FEMME FORÊT Anaïs Barbeau-Lavalette Éditions Marchand de feuilles 304 pages

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