Le Journal de Montreal - Weekend
Drake usurpe la voix de 2Pac et de Snoop Dogg
Peut-on usurper l’identité d’un artiste décédé à l’aide de l’intelligence artificielle ? C’est ce qu’a fait le populaire rappeur Drake en empruntant la voix du regretté Tupac Shakur dans une nouvelle attaque musicale visant Kendrick Lamar, une pratique qui inquiète à l’occasion de la Journée mondiale du livre et du droit d’auteur qui se tenait en début de semaine.
La sempiternelle guerre de mots opposant Kendrick Lamar à Drake a pris une tout autre connotation, vendredi, lorsque ce dernier a publié sur Instagram le morceau Taylor Made Freestyle ,oùil semble partager le micro avec Snoop Dogg et Tupac Shakur, légendaire artiste assassiné en 1996.
Utilisant l’IA pour imiter la voix de ces piliers du hip-hop, et ce, sans leur consentement ni celui de leur famille, Drake visait à se moquer de celui qui est surnommé « K.Dot ». Dans cette chanson, il se met dans la peau de 2Pac et de Snoop Dogg pour conseiller ironiquement Lamar. Et c’est franchement convaincant.
« Ils ont fait quoi ? Quand ? Comment ? Êtes-vous sûrs ? Je retourne me coucher », a réagi un Snoop Dogg désemparé dans une vidéo publiée sur Instagram.
Par ailleurs, l’IA s’était déjà invitée dans le conflit impliquant aussi J. Cole, Kanye West et Future lorsque des internautes s’en sont servis pour fabriquer de toutes pièces de fausses diss tracks ayant confondu amateurs et experts.
UN ENJEU ÉTHIQUE
Pour le directeur des affaires publiques et de la recherche de l’ADISQ, Simon Claus, il ne fait aucun doute que cette utilisation de l’IA par Drake est condamnable.
«Pour créer ces hypertrucages musicaux, l’IA va se nourrir de grands corpus d’oeuvres qui sont protégées, explique-t-il. On considère qu’il y a une violation du droit d’auteur puisque [la succession de] Tupac n’a pas [accepté] que son oeuvre soit utilisée dans le cadre de l’entraînement de l’IA générative. »
D’ailleurs, Drake violerait aussi l’article 36 du Code civil du Québec s’il était natif de la Belle Province parce qu’il utilise la voix et l’image de l’auteur de California Love sans le consentement de sa famille.
L’AVENIR DE LA CULTURE
Au début du mois, une coalition de plus de 200 artistes connus a publié une lettre ouverte pour dénoncer « l’utilisation prédatrice de l’IA pour violer le droit d’auteur, détruire l’écosystème musical et permettre l’usurpation de l’identité artistique ».
Par ailleurs, l’ADISQ a déposé, le 15 janvier dernier, un mémoire dans le cadre de la Consultation sur le droit d’auteur à l’ère de l’intelligence artificielle générative. Elle propose notamment la production de licences pour légiférer le forage de données permettant l’utilisation de l’IA dans l’art.
« Avec l’IA, on reproduit dans le présent ce qui était dans le passé et on a une sorte d’aplatissement statistique de la création, insiste M. Claus. Ça [crée des enjeux] de diversité, de renouvellement et d’originalité dans notre
culture. »