Le Journal de Montreal - Weekend
DANS LA TÊTE D’UNE TUEUSE
5 questions à Patrick Lowe, coauteur et coproducteur de Bête noire
Patrick Lowe a plus d’une vie. C’est ce qui le nourrit comme auteur. Petit, il s’amusait à dessiner au verso des scénarios que rapportait son papa directeur photo. Plus tard, il a découvert l’importance des textes en tournant les feuilles de bord pour en lire le contenu.
Bien qu’il ait rêvé de faire de la télé très jeune, c’est en criminologie qu’il étudie d’abord avant de faire son droit et de devenir procureur de la Couronne. Patrick a collaboré à différentes séries jeunesse (Kaboum, Macaroni tout garni, Ramdam, Les Argonautes), d’autres pour adultes (2 frères, la suite, Coroner, Providence, Mémoires vives). Son expertise lui a particulièrement servi pour Toute la vérité. Avec l’autrice Annabelle Poisson, il s’est plongé dans des drames humains. Bête noire, dont la deuxième saison vient de commencer, aborde un infanticide et la question de l’aliénation mentale.
Dans la première saison, un adolescent provoquait une tuerie. Dans la saison 2, c’est une mère qui commet l’irréparable. As-tu hésité avant d’aborder un sujet aussi délicat ?
Quand on a fini la saison 1, on savait qu’on avait touché à un phénomène vécu au Québec avec Polytechnique, Dawson ou la Mosquée à Québec. On explorait les dommages collatéraux sur les proches alors que leur fils était mort. Malheureusement, les cas d’infanticides, de meurtres intrafamiliaux pullulent. Bien que ce soit souvent des pères qui les provoquent, il existe quand même un pourcentage assez important de mères qui s’en prennent à un enfant. Ça nous interpellait beaucoup, Annabelle et moi. On voulait tenter de comprendre comment on arrive à ça et en quoi la maladie mentale vient brouiller les pistes. On voulait traiter de l’infanticide et de la responsabilité criminelle, faire intervenir le judiciaire parce que, dans ce casci, la personne qui a commis le geste est toujours vivante. Voir aussi l’impact sur l’entourage. Tout le monde est dévasté. On la juge. Son ex, sa belle-famille qui est en colère, son père qui se demande comment ça se fait qu’il n’ait rien vu.
De quelle façon faites-vous vos recherches, Annabelle et toi ?
On a fait beaucoup de recherches. Les preuves sont du domaine public. On y a accès. On a brainstormé .Lecas qui a frappé l’imaginaire est celui du chirurgien Guy Turcotte. On a eu la chance de pouvoir compter sur l’expertise de Marie-Frédérique Allard qui est psychiatre légale et qui a évalué plusieurs tueurs notoires. On a rencontré beaucoup de gens, dont une femme ayant commis un infanticide et une thérapeute en deuil jeunesse qui accompagne des survivants.
Y a-t-il des scènes qui ont été plus difficiles à écrire ?
C’est certain qu’émotivement on plonge dans nos propres deuils. Il y a des scènes plus difficiles. Comment tu fais pour expliquer à ta fille de 7 ans que son petit frère est mort et que c’est sa mère qui l’a tué ? C’est bouleversant.
Parle-moi du casting. Charlotte Aubin et Mickaël Gouin, qu’on a plus vu en comédie, ont de solides partitions à jouer.
Mickaël a été extraordinaire en audition. C’est un personnage qui a des choses à cacher. Il devait jouer une scène très émouvante, celle de la voiture avec sa fille (où il lui explique la situation). Je ne sais pas si c’est parce qu’il est nouvellement papa, mais il était très investi et nous a tout de suite convaincus qu’il pouvait aller là. Charlotte avait tout un défi. On sent la progression de son personnage au fil des six épisodes. C’est comme un oignon qu’on épluche. C’est très difficile à jouer. Je sais qu’elle a demandé conseil à une amie psychologue pour bien comprendre la souffrance d’une telle personne. Son jeu est brut, cru, on sent sa détresse, on sent le poids de sa vie.
La psychiatre Éliane Sirois (Sophie Cadieux) est convaincue que la mère n’a pas consciemment commis son geste. Utilise-t-on trop souvent le prétexte de la santé mentale pour déclarer un accusé inapte et excuser ses fautes ?
Une personne peut être en psychose et faire sa journée de travail normalement. Ce sont des tragédies pour des familles. Ce sont des histoires humaines. Le travail de la psychiatre est d’enquêter sur ce qui s’est passé dans la tête de la mère au moment des événements. Ça crée automatiquement deux camps, une contre-expertise, des divergences d’opinions. Ça montre comment la science a de la difficulté à se fixer sur des questions de santé mentale. Il y a le médical et ce qui est moral. Annabelle et moi avons une préoccupation de sobriété. On ne veut pas faire de spectacle avec la violence ni profiter de la misère humaine.
√ Bête noire.
Mercredi 21 h sur Série Plus