Le Journal de Montreal - Weekend

L’ÉTRANGE NAUFRAGE D’UN PÉTROLIER EN 1980

Le voyage du Salem.

- MARIE-FRANCE BORNAIS

L’écrivain franco-suisse Pascal Janovjak raconte l’histoire extraordin­aire d’une escroqueri­e maritime d’envergure s’étant déroulée au large du Sénégal en 1980 dans son nouveau roman,

Alternant entre le travail d’enquête du narrateur et les événements décrits tels qu’ils ont été vécus par les marins pauvres qui se trouvaient à bord, le roman est fascinant sur tous les plans et montre à quel point le transport de l’or noir peut cacher bien des mystères.

Nous sommes en 1980, au large des côtes du Sénégal, en Afrique. Un feu éclate dans la salle des machines d’un énorme pétrolier baptisé le Salem .Le bateau prend feu.

L’équipage est sauvé in extremis par un navire anglais qui s’éloigne en sachant que le pétrolier, qui contient 200 000 tonnes de brut, va inévitable­ment exploser et provoquer la plus grande marée noire de tous les temps.

À la surprise de tous, le pétrolier coule sans la moindre étincelle. Que s’est-il passé ? Grâce à l’extraordin­aire talent de Pascal Janovjak, qui révèle les détails d’une gigantesqu­e fraude, on en apprend un peu plus sur le transport maritime, les transactio­ns liées à l’or noir, les manigances de commerçant­s véreux et moult petites choses qui passent inaperçues aux yeux du grand public.

UN FAIT DIVERS INCROYABLE

« C’est incroyable, quand on se rend compte de ce flux de pétrole qui, quotidienn­ement, minute après minute, fait le tour du monde, un bateau après l’autre, pour fournir l’énergie dont on a besoin et aussi la matière première. Tout le plastique qu’on a est fait à base de pétrole, mais on ne le voit jamais circuler. J’avais envie de voir un peu ce qui se passait », commente Pascal Janovjak, en entrevue.

L’écrivain franco-suisse est tombé sur l’affaire du Salem en feuilletan­t de vieux livres chez un bouquinist­e de Dhaka, au Bangladesh.

« La vie de l’écrivain est romancée. J’ai changé beaucoup de détails par rapport à ma vie personnell­e. Mais la découverte de ce fait divers, c’était dans un petit livre qui rassemblai­t plusieurs petites histoires assez incroyable­s et celle-ci m’avait vraiment fasciné. Je trouvais que c’était magique qu’on puisse voler, comme ça, 200 000 tonnes de pétrole. Alors je me suis mis à enquêter sur cette histoire. »

DES BATEAUX ÉNORMES

En fouillant davantage, l’écrivain a été fasciné par cet univers, qu’on ne connaît pas, mais aussi par l’aspect démesuré de cette cargaison, de ces bateaux.

« On dit souvent, pour qu’on puisse se rendre compte de leur taille, que c’est comme des gratte-ciel qu’on aurait couchés sur la mer. On a l’habitude de voir des gratte-ciel. Mais ces bateaux-là, on les connaît moins. Ils ont des dimensions presque astronomiq­ues, inhumaines. Ça me fascinait : comment vivent les gens sur ces énormes bateaux, au long de ces voyages qui durent tellement longtemps, souvent ? »

LES OUVRIERS : DES PETITES FOURMIS

Dans Le voyage du Salem, Pascal Janovjak alterne entre l’enquête et la descriptio­n du travail des marins, pauvres, qui sont embarqués, forcés à travailler et à partir en mer sans même savoir leur date de retour.

Forcés de descendre jusqu’au fond des énormes citernes, les hommes sentent parfois que la tête leur tourne et paniquent à l’idée de se faire attraper par des démons.

Portés par des récits légendaire­s, ils ont parfois l’impression d’entendre le grognement des ogres de l’autre côté de la coque. Ils ont peur des vagues, de la mer, des fantômes. Parfois, l’un d’entre eux disparaît.

« Il y a un décalage énorme entre les intérêts financiers – c’est de l’or noir, quand même – et puis le quotidien de ces transports, remarque Pascal Janovjak. On a l’impression que c’est comme des petites fourmis, dont l’existence n’a pas tellement d’importance. Et c’est pourtant eux qui permettent à ce pétrole de circuler. »

■ Pascal Janovjak est un écrivain franco-suisse né à Bâle en 1975, de mère française et de père slovaque.

■ Il a étudié l’histoire de l’art et la littératur­e comparée à Strasbourg avant d’aller enseigner en Jordanie, au Liban, en Palestine.

■ Il a aussi occupé le poste de directeur de l’Alliance française à Dhaka.

■ En 2011, il a publié le recueil de récits autobiogra­phiques Àtoi ,en collaborat­ion avec Kim Thúy.

■ En 2020, son roman Le Zoo de Rome reçoit le Prix suisse de littératur­e, le prix des Auditeurs de la Radio télévision suisse et le prix Michel-Dentan.

■ Il vit aujourd’hui à Rome où il est traducteur, en plus de son travail littéraire.

 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada