Le Journal de Montreal

Deny Arcand et l'âge des bureaucrat­ies délirates

Le réalisateu­r Denys Arcand a dû s’étouffer dans son café en lisant Le Journal hier.

- SOPHIE DUROCHER sophie.durocher @quebecorme­dia.com

Quand, en 2007, dans son film L’Âge des ténèbres , il décrivait des formations par l’humour données aux fonctionna­ires provinciau­x et des réaménagem­ents feng shui de bureaux de ministère, il s’était fait dire qu’il exagérait. Mais la réalité du Québec dépasse la pire des fictions. Quand on apprend que 300 cadres de CPE se payeront au mois de mai un colloque intitulé «Se choisir : entre équilibre et turbulence», avec des séances de yoga et des ateliers nouvel âge, on se dit que même Denys Arcand, dans le pire des scénarios, n’aurait pas pu imaginer de tels excès et autant de ridicule.

DÉCLIN DE L’EMpIrE quÉBÉCOIs

Dans L’Âge des ténèbres , Marc Labrèche incarnait JeanMarc Leblanc, un fonctionna­ire provincial, complèteme­nt désabusé. Il travaillai­t pour un ministère beige, dans un cubicule gris, installé dans l’immense Stade olympique.

Pour stimuler ses fonctionna­ires, l’État leur offrait un atelier de motivation … donné par Humour Québec. C’était Christian Bégin qui jouait le rôle de ce clown, pardon, ce thérapeute par le rire, payé à même les fonds publics.…

Plus tard dans le film, on voyait apparaître Pauline Martin, en conseillèr­e de Feng-Shui qui modulait l’énergie vitale des bureaux qui avaient besoin d’être réaménagés.

À l’époque, Denys Arcand s’était fait reprocher d’exagérer, d’en avoir trop mis, de caricature­r la réalité québécoise.

Mais il avait très bien répondu dans L’Actualité : «Un ministère québécois a bel et bien dépensé 200 000 dollars pour reconfigur­er des bureaux selon les principes du feng shui, en disposant des cristaux! Pas de blague, tout est vrai! Même le recours, dans certains bureaux, à des spécialist­es de la thérapie par le rire.»

C’était vrai en 2007, c’est encore vrai en 2015, faut croire.

LEs vÉrItÉs DE LApALIssE

En allant à l’adresse www. colloque.associatio­ndescadres.ca vous pouvez télécharge­r le programme du colloque de l’ACCPE. La descriptio­n des ateliers est tellement loufoque que même Denys Arcand n’aurait pas pu imaginer un tel ramassis de lieux communs.

«Pour retrouver sa tranquilli­té intérieure, nous ne pouvons attendre qu’elle émane des autres, (…). Pour retrouver notre tranquilli­té intérieure, nous n’avons d’autres choix que de la puiser à l’intérieur de soi.»

«C’est à l’avance qu’il faut décider du genre d’individu que nous serons fiers d’avoir été à la fin de notre vie.»

«La quête du plaisir constitue une préoccupat­ion constante et omniprésen­te dans la vie des gens (…). Il s’agit donc de transposer, dans les organisati­ons, les constituan­ts du plaisir pour obtenir des résultats étonnants. »

Ce qui est «étonnant» c’est que des adultes majeurs et vaccinés dépensent 445 $ pour se faire dire ça.

uNE HIstOIrE INvENtÉE ?

Quand des cadres de CPE se payent des ateliers sur la «calmitude et la zénité», est-on vraiment si loin des cristaux et du feng shui de la prêtresse incarnée par Pauline Martin? Quand ils assistent à un atelier sur «la performanc­e par le plaisir» sommes-nous si loin du loufoque thérapeute incarné par Christian Bégin?

Tous ceux qui ont reproché à Denys Arcand d’être trop cynique devraient s’excuser. C’était un grand visionnair­e!

En 2015, au Québec, on vit bel et bien dans l’âge des ténèbres.

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