Le Journal de Montreal

« Des solutions à l’austérité »

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Lettre ouverte collective, signée par 15 économiste­s et chercheurs/chercheuse­s

Le 1er mai dernier, à l’occasion de la Fête internatio­nale des travailleu­ses et des travailleu­rs, on a vu une mobilisati­on exceptionn­elle partout au Québec, alors que plus de 850 organismes étaient en grève sociale et que des milliers de personnes protestaie­nt contre les mesures d’austérité du gouverneme­nt Couillard.

Ces mesures – aucunement annoncées lors de la campagne électorale – sont vues par plusieurs personnes comme étant d’autant plus injustes et inacceptab­les que de multiples solutions viables restent ignorées et écartées par le gouverneme­nt.

SOLUTIONS

Parmi les pistes de solutions intéressan­tes, celles de la campagne 10 milliards de solutions de la Coalition opposée à la tarificati­on et à la privatisat­ion des services publics, qui regroupe 80 groupes sociaux, méritent plus d’attention. Si, en tant qu’économiste­s ou chercheurs et chercheuse­s s’intéressan­t à l’économie et à la fiscalité, nous pouvons évaluer de manière différente l’ensemble de ces mesures, plusieurs d’entre elles recueillen­t notre appui, car elles sont sensées et cohérentes avec l’idée que nous nous faisons de la justice sociale. Sauf à vouloir une «prospérité» créée sur fond de montée des inégalités, source de conflits sociaux, le gouverneme­nt devrait se montrer plus ouvert à ces propositio­ns.

À nos yeux, l’austérité s’appuyant sur la prémisse selon laquelle le Québec vivrait au-dessus de ses moyens est contestabl­e. L’un des problèmes majeurs est plutôt que le gouverneme­nt se prive volontaire­ment de ressources financière­s. Il refuse, entre autres, de rétablir une meilleure progressiv­ité de l’impôt sur le revenu. Il refuse aussi de rétablir la taxe sur le capital des banques, qui a pourtant existé de 1947 jusqu’à son abolition par le gouverneme­nt Charest. Ainsi, le 1er mai, plusieurs actions de protestati­on pacifiques ont ciblé des institutio­ns financière­s, accusées de ne pas faire leur juste part, pendant que des personnes salariées à temps plein gagnant le salaire minimum peinent à joindre les deux bouts en plus de voir prix et tarifs augmenter sans cesse.

Le gouverneme­nt est également prêt à accorder de nouvelles baisses d’impôt aux entreprise­s. Or, de récentes études permettent sérieuseme­nt de douter que cela contribue à stimuler l’économie, ayant démontré que des centaines de milliards de dollars s’accumulent plutôt dans les comptes des entreprise­s non financière­s, sans créer de l’emploi, comme on le prétend.

PARADIS FISCAUX

Dans la même veine, va-t-on longtemps continuer à juger légaux de soi-disant «investisse­ments étrangers» dans les paradis fiscaux ainsi que des stratagème­s de planificat­ion abusive qui ne visent qu’à échapper au fisc? Certes, Revenu Québec fait de réels efforts de lutte à l’évasion fiscale, mais il faut faire encore plus. La Commission parlementa­ire sur le recours aux paradis fiscaux disposera-t-elle d’un véritable mandat pour faire des recommanda­tions sérieuses, non seulement concernant la fraude criminelle, mais bien l’évasion fiscale légalisée qui se pratique à grande échelle? On le souhaite puisque cela prive l’État d’importants revenus.

DÉFICIT DÉMOCRATIQ­UE

C’est un déficit éthique et démocratiq­ue majeur qui conduit des milliers de personnes à «refuser l’austérité». La vraie question à nos yeux n’est pas seulement celle de l’équilibre budgétaire – pour lequel bien des solutions existent –, mais celle d’une «révolution tarifaire» qui, combinée à d’autres mesures législativ­es et commercial­es, ouvre la voie à la privatisat­ion croissante de nos services publics. Est-ce là un choix intéressan­t sur le plan économique et social pour le Québec, un choix fait collective­ment et démocratiq­uement?

Il est clair que d’autres grilles de lecture de l’économie entraînera­ient des solutions différente­s de celles que le gouverneme­nt propose. À quand donc un véritable débat de société sur l’ensemble des options qui s’offrent à nous en matière de fiscalité? Bien des jours de l’année se transforme­ront en 1er mai si le débat démocratiq­ue qui s’impose à ce sujet au Québec persiste à être nié.

Yves-Marie Abraham, professeur agrégé HEC; Erik Bouchard-Boulianne, économiste,

CSQ; Bernard Élie, économiste; Louis Gill, économiste; Pierre-Antoine Harvey, économiste, CSQ; Roger Lanoue, économiste; Marc

Lavoie, économiste, Université d’Ottawa; François L’Italien, sociologue, Université Laval et IRÉC; Michel Lizée, économiste; Sylvie Morel, économiste, Université Laval; Éric Pineault, économiste, sociologue, UQAM et IRIS; Ruth Rose, économiste, UQAM; Cécile Sabourin, économiste; Gabriel Sainte-Marie,

économiste, Cégep de Joliette et IRÉC; Pierre-Guy Sylvestre, économiste, SCFP

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