Le Journal de Montreal

Parizeau : la clarté sans complexe

Jacques Parizeau vient de nous quitter sans assister à la naissance du pays auquel il a consacré les cinq dernières décennies de sa vie. Pour plusieurs indépendan­tistes, le décès de Monsieur était si impensable qu’il représente la mort d’une certaine mani

- SIMON-PIERRE SAVARD-TREMBLAY Auteur du livre Le Souveraini­sme de province, Grand Prix littéraire de La Presse Québécoise 2015

L’héritage de Parizeau est gigantesqu­e, à commencer par son rôle fondamenta­l dans la constructi­on de l’État québécois, mais c’est surtout en tant qu’indépendan­tiste qu’on retiendra Parizeau.

LE NERF DE LA GUERRE

Si Jacques Parizeau effrayait autant ses adversaire­s, c’est qu’il comprenait le pouvoir de l’argent. Premier Québécois à être diplômé de la London School of Economics, il était capable de s’asseoir à Wall Street et de faire comprendre à la haute finance américaine que la nationalis­ation de l’hydroélect­ricité relevait davantage du gros bon sens que du délire communiste. Par son action comme ministre des Finances, il a contribué ensuite comme nul autre à mettre au monde une bourgeoisi­e d’affaires issue de la nation québécoise, le Québec inc.

C’est cette même bourgeoisi­e d’affaires qui, tragiqueme­nt, s’est empressée à faire faux bond à son créateur lors du référendum de 1995. De la fameuse déclaratio­n du 31 octobre, laquelle a suscité la hargne des belles âmes, plusieurs ont oublié que Parizeau pointait aussi – et surtout – «l’argent». Et pourtant, 10 ans plus tard, la commission Gomery allait lui donner raison.

L’OPÉRATEUR CHIRURGICA­L

Pour Jacques Parizeau, l’indépendan­ce était une opération chirurgica­le où l’ambiguïté n’a pas sa place. C’est pourquoi il s’opposa d’abord à ce que l’indépendan­ce passe obligatoir­ement par un référendum: n’y a-t-il pas un problème fondamenta­l à ce que des indépendan­tistes solliciten­t un mandat électoral pour autre chose que pour réaliser leur raison d’être? Ne vont-ils pas s’égarer dans le confort de la gouvernanc­e de la province? Même chose en ce qui a trait à l’associatio­n avec le Canada: si celle-ci est certaineme­nt utile, doit-elle être une condition incontourn­able à l’indépendan­ce? Les indépendan­tistes ont-ils si peu confiance en leur projet?

En 1984, quand la direction péquiste s’est positionné­e en faveur d’un renouvelle­ment du Canada et d’une alliance avec Brian Mulroney, Parizeau décida de claquer la porte. En dépit de sa loyauté envers son parti, il n’y avait pour lui qu’un seul «beau risque» potentiell­ement envisageab­le: celui de la pleine et entière indépendan­ce politique pour la nation québécoise.

Devenu premier ministre, Parizeau a fini par tenir un référendum, mais en se battant perpétuell­ement avec ses partenaire­s pour que celui-ci puisse porter sur la création d’un pays et non sur une quelconque réforme camouflée du Canada.

Parizeau était l’homme des questions claires qui en appellent à des réponses qui le sont également. Après son départ de la politique, il s’imposa le rôle du gardien de l’orthodoxie, toujours fidèle à ses conviction­s les plus profondes, et sans jamais s’en excuser.

On ne réussit pas un projet aussi ardu en ayant peur de son ombre. Cette leçon est le plus bel héritage du plus grand homme d’État que le Québec a connu.

Si Jacques Parizeau effrayait autant ses adversaire­s, c’est qu’il comprenait le pouvoir de l’argent

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