Le Journal de Montreal

ENTREVUE AVEC LISE BRISEBOIS

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- Dominique Scali DScaliJDM 514.599.5888 8061 dominique.scali @quebecorme­dia.com

Lise Brisebois, dite Canard Blanc, accueille certains de ses visiteurs avec un rituel de purificati­on dans sa maison remplie de portraits autochtone­s. Elle porte tatoué sur le bras le nom de la communauté qu’elle a récemment créée à Beauharnoi­s, en Montérégie. Accusée d’être une imposteure et une «wannabe indienne» par ses détracteur­s, elle ne laissera personne lui dire qu’elle n’est pas une vraie Amérindien­ne. La Cour suprême a tranché en avril dernier que les Métis et autochtone­s non inscrits au Registre des Indiens sont eux aussi des «Indiens», une décision qu’elle souhaite voir appliquer. Êtes-vous reconnue comme autochtone par le gouverneme­nt ?

Non. J’ai 57 ans et ça fait 37 ans que j’essaie d’être reconnue aux Affaires indiennes. Ma mère est une pure Algonquine et mon père était de descendanc­e iroquoise, alors je suis plus que 50 % indienne. J’ai toutes mes preuves […] Jamais, jamais, jamais il n’y a eu de doute dans ma tête. Bats-moi, coupe-moi, mais jamais je ne dirai que je ne suis pas autochtone.

D’où vient votre nom : Canard Blanc ?

C’est le nom de ma grand-mère [maternelle], Maria Canard Blanc. Elle a été baptisée Leblanc parce que, dans le temps, [l’Église catholique] ne voulait pas baptiser les enfants avec des noms d’animaux. À l’origine, les Canard Blanc étaient basés à Lac-Simon, en Abitibi. Je fais actuelleme­nt des démarches auprès de l’état civil pour retrouver [le nom de famille] de Canard Blanc.

Pourquoi avoir fondé à Beauharnoi­s la communauté Mikinak, à la tête de laquelle vous avez été élue en janvier dernier ?

Pour aider le monde. Pour que les Indiens hors réserve, comme moi, puissent être représenté­s dans la région. Je suis là pour aider les membres à faire en sorte que leurs droits soient reconnus et aider les gens de ma communauté. […] Aujourd’hui, on a presque 400 membres. Je ne m’attendais pas à ce que ça explose comme ça!

Quelle est la différence entre une communauté autochtone et une réserve ?

Le gouverneme­nt donne de l’argent à la réserve. Nous, c’est du bénévolat qu’on fait. Et une réserve, c’est un territoire. On ne veut pas de territoire. Ce qu’on veut, c’est être respectés. Que l’arrêt Daniels de la Cour suprême soit appliqué [ce qui n’est pas encore le cas].

Qui peut faire partie de la communauté Mikinak ?

Il faut des preuves de tes origines autochtone­s. Soit un test d’ADN ou un arbre généalogiq­ue avec certificat­s de mariage. On accueille aussi ceux qui ont leur carte de statut d’Indien [du ministère des Affaires autochtone­s]. Pourvu que tu aies des origines. Ce n’est pas comme sur les réserves, où il y a des restrictio­ns [quant au nombre de génération­s]. Par exemple, des gens qui ont été mis dehors de Kahnawake, j’en ai une dizaine parmi mes membres.

Vous dites que l’arrivée de votre communauté en dérange plusieurs. Pourquoi ?

Je dérange les Mohawks parce qu’ils revendique­nt toute la Montérégie et ils pensent que je veux prendre leur territoire. Mais à l’origine, il n’y avait pas seulement des Mohawks ici […] C'est comme une dictature.

Avez-vous été intimidée ?

Oui. Mes enfants [âgés de 27 à 32 ans] ont reçu des têtes de mort [dans des messages] Facebook. J’attends de recevoir des menaces réelles pour aller voir la police. Là, on me traite de princesse Cherokee et autres insultes, donc ce n’est pas trop grave.

Comment avez-vous réagi quand vous avez vu le jugement de la Cour suprême ?

J’étais bouleversé­e. Je n’étais même pas capable de parler. J’avais les yeux pleins d’eau. J’ai dit à ma mère: «C’est arrivé. On l’a, maman. T’es reconnue. Vous ne pouvez plus dire que je ne suis pas indienne.»

Avez-vous déjà souffert de discrimina­tion en raison de vos origines ?

Oui, quand j’étais enfant, je me suis fait traiter de sauvagesse. Mais je me suis toujours affirmée. Je n’ai pas fait mon cours d’histoire au secondaire parce que je me suis fait mettre dehors. Pendant un cours, j’ai explosé et j’ai dit au prof: «T’es juste un menteur.» Cartier, Champlain, c’étaient des bandits. (Rires)

Est-il vrai que votre coiffe de chef a été achetée dans une boutique de souvenirs asiatiques ?

Oui, mais je n’ai pas le choix. Sur la réserve, ils ne vendent que des coiffes d’hommes. Oui, il y a certains de mes objets que j’ai achetés au marché aux puces, mais moi, j’y crois. Et la croix que les gens prennent pour prier Jésus, ils l’ont achetée où?

Vous m’avez accueillie avec un rituel de purificati­on. En quoi consiste-t-il ?

C’est de la sauge qu’on allume avec une allumette en bois – on ne prend pas un lighter! On envoie la fumée par-dessus nos têtes pour purifier. C’est une façon de prier le Créateur.

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Lise Brisebois Canard Blanc, chef de la communauté Mikinak à Beauharnoi­s
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