Le Journal de Montreal

Pourquoi je porte le burkini

La Lavalloise n’allait tout simplement pas à la plage avant d’adopter cette tenue

- l∫ Dominique Scali DScaliJDM c dominique.scali @quebecorme­dia.com

Elsy Fneiche fond en larmes quand on lui parle de la femme qui a dû retirer une partie de son burkini devant des policiers sur une plage de France cette semaine. La Lavalloise musulmane de 29 ans en a assez d’être rabrouée pour ses choix vestimenta­ires, elle qui porte un piercing au nez et des ongles roses avec la même aisance que le voile. Se qualifiant elle-même de «tête de mule», elle explique pourquoi elle porte le burkini pour se baigner: ni par soumission ni pour imposer ses vues aux autres. Depuis quand portez-vous le burkini ?

Je l’ai adopté l’an passé. Quand c’est sorti, il y a 10 ans, ça n’a pas été d’emblée accepté par la communauté musulmane. Les gens étaient réticents. Il faut dire que les premiers sortis n’étaient pas très beaux. Tu avais l’air d’avoir une tête de gland! Mais les femmes ont commencé à dire: pourquoi on se priverait de faire certaines activités? Et, tranquille­ment, ça a été adopté. Ça sort les femmes de leur isolement.

Comment vous baigniez-vous avant d’adopter le burkini ?

Quand il y avait des activités dans l’eau, [ma famille et moi] on n’y allait pas pour des raisons de sécurité. C’est ce qu’on nous disait tout le temps: vous ne pouvez pas vous baigner avec votre linge, ce n’est pas sécuritair­e. Le burkini permet d’aller dans l’eau de manière sécuritair­e et hygiénique.

Que pensez-vous des femmes qui portent le maillot deux-pièces ?

Je trouve ça très joli. Quand mes amies viennent chez nous pour un pool party, on le porte, le bikini. J’ai une amie qui est tout le temps super sexy. Les femmes ont le droit d’être séductrice­s ou de ne pas l’être.

Comment réagissent les gens quand vous portez le burkini en public ?

Ma soeur s’est déjà fait lancer de l’eau au Zoo de Granby. Moimême, l’an passé, une dame a commencé à faire des commentair­es à ma mère, puis à me dire: «Ouin, tu dois avoir pas mal chaud là-dedans.» Elle m’a traitée de soumise. Ça s’est rapidement enflammé parce que j’ai répliqué [...] Des fois, je suis tannée d’être diplomate.

Quel genre d’islam pratiquez-vous ?

Un islam d’ouverture, dans le gros bon sens [...] Je suis née au Liban dans une famille de réfugiés et je suis arrivée au Québec à l’âge de 2 ans. On n’a pas été éduqués d’une façon rigide. Ma famille est très colorée. Par exemple, j’ai une soeur «flyée» qui ne porte pas le voile et qui s’est rasé la tête récemment.

Comment en êtes-vous venue à porter le voile ?

J’ai commencé à le porter à 8 ans. C’était ma décision. Mes parents ne voulaient pas. On s’est obstinés. Depuis que je suis jeune, j’ai une tête de mule [...] Tranquille­ment, mon port du foulard est devenu une revendicat­ion pour le droit des femmes de décider d’habiller leur corps comme bon leur semble. Et ça vaut autant pour les musulmans que chez les non-musulmans.

Pourquoi portez-vous le burkini ?

Pour les mêmes raisons que le hijab. Ma mère a commencé à porter le foulard à l’âge de 36 ans, en montrant un peu sa chevelure. Après la mort de mon père, elle s’est beaucoup rapprochée de la religion. Ça l’a sauvée de la déprime. Elle a un rapport très spirituel et très pacifique à la religion. C’est pour ça que je continue de porter le voile.

Certains disent que le burkini est un symbole de l’islam radical. Qu’en pensez-vous ?

Je pense que c’est faux. Ce n’est pas du prosélytis­me [promotion de la religion] sur la plage. Oui, la façon dont s’habille un individu reflète ses valeurs. Mais il y a autant de raisons de porter le hijab qu’il existe de femmes. On n’arrête pas de nous réduire à un seul modèle, qui existe probableme­nt. Mais de penser qu’on est toutes pareilles, c’est une erreur. Moi, j’ai un piercing dans le nez et les ongles colorés, ce qui n’est pas le cas de toutes les musulmanes.

Le burkini peut-il être un symbole de soumission ?

On voit très bien que je suis loin d’être une femme soumise (rires). Il y a effectivem­ent des musulmans qui tiennent des discours contre la mixité. Ils ne veulent pas que les femmes soient sur les plages. Donc, croyez-moi, s’il y a une femme qui n’est probableme­nt pas radicale, c’est bien celle qui porte le burkini à la plage. Parce qu’elle va à contre-courant de l’idéologie des plus radicaux.

Une photo prise sur une plage à Nice est devenue virale cette semaine. On y voit une femme retirant sa chemise devant quatre policiers. Comment avez-vous réagi ?

Je suis franchemen­t très fâchée [...] On en est vraiment rendu là? J’en ai pleuré hier. La femme en moi était... Je suis encore très émue (larmes).

Vous vous êtes imaginée à sa place ?

Oui. Ça devient lourd. Des fois, j’aimerais juste arrêter d’exister tellement c’est fatigant [...] J’ai l’impression qu’on traite les musulmanes comme si elles n’étaient pas capables de réfléchir. Non seulement on les paternalis­e, mais on les humilie. C’est complèteme­nt aberrant.

Qu’est-ce qui est fatigant ?

C’est fatigant parce que [les femmes musulmanes], on est les plus identifiab­les en raison du hijab. On est la cible de toute la colère que suscitent les extrémiste­s. On parle de nous comme si ça ne nous faisait rien. On me dit que je suis soumise à mon mari. Mais c’est moi qui subis toutes les conséquenc­es du fait que je sois «soumise». Pendant ce temps, personne n’a obligé le monsieur musulman à raser sa barbe et à se baigner torse nu.

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