Le Journal de Montreal

Simplement Tragically

- MAXIM maxim.martin@quebecorme­dia.com MARTIN

Côté musique, 2016 commence vraiment à me taper sur les nerfs. On a perdu plus de légendes depuis le début de l’année qu’une ligue de pétanque a perdu de retraités. Je ne sais pas pourquoi ça m’affecte autant. Peut-être parce que leur départ signifie qu’il y aura un peu moins de bonne musique dans mes oreilles. Ou bien est-ce parce que j’ai l’impression qu’une partie de mon enfance disparaît en même temps qu’eux, comme pour les accompagne­r vers les cieux?

Même s’il est encore parmi nous, on sait depuis un petit moment que les jours sont comptés pour Gord Downie, le chanteur de Tragically Hip. En fait, de tous ceux qui nous ont quittés, c’est lui qui risque de me manquer le plus, quand son heure aura sonné.

LE TEMPS PASSE

Je n’ai pas vu le concert final du groupe, à Kingston, samedi dernier. Je vais sans doute le regarder bientôt. Mais pour une raison quelconque, je ne me sentais pas assez fort pour y assister en direct. Je pourrais dire que c’est parce que ça me confrontai­t à ma propre mortalité, mais ce ne serait qu’un effet dramatique littéraire. C’est juste que, des fois, j’oublie que rien n’est éternel et, dans ma tête, je refusais que cette musique, qui a marqué ma vingtaine autant que celle de Nirvana, disparaiss­e soudaineme­nt.

Je confesse que depuis une dizaine d’années, la musique des Hip se faisait de moins en moins entendre chez nous. Mais il ne suffit que d’un événement triste pour te rappeler l’importance de ce que tu es sur le point de perdre.

Du coup, depuis dimanche matin, c’est tout ce qui joue dans la maison et dans la voiture. J’avais oublié le grand nombre de succès du groupe. J’avais même oublié à quel point les paroles de Gord Downie sont imagées. Tragically Hip est probableme­nt l’un des rares groupes qui n’ont pas besoin de vidéoclip puisque les images te viennent naturellem­ent en tête dès les premières notes.

Je crois que je me suis fait prendre dans mon propre piège, car la journée où Gord va nous quitter, c’est ma vingtaine qui va partir avec lui. Ce sont mes souvenirs de mon petit 2½ au coin de Saint-Mathieu et René-Lévesque. Dans ce petit appart, j’écoutais leur musique en écrivant les gags qui ont lancé ma carrière.

C’était la musique qu’on faisait jouer à tue-tête dans le char pendant nos périples dans les Laurentide­s. Les Tragically Hip, c’était aussi le show que tu ne voulais pas manquer. Si Gord réussissai­t à te faire voyager avec le simple son de sa voix, le voir en personne était comme une invitation à embarquer sur un tapis volant avec maître Downie aux commandes.

MON TOUR VIENDRA

Depuis une semaine, je réécoute leurs albums et depuis une semaine, tout ce que je vois dans ma tête, c’est un ti-cul de 20 ans qui commence à découvrir sa vie d’adulte. Tout paraissait simple à cette époque. Malgré nos peurs, on avait le sentiment que rien ne pouvait nous arriver. Chaque chanson me rappelle un souvenir, comme si le groupe avait mis en musique l’histoire de ma vie.

Ça fait une semaine que je réécoute les mêmes chansons que lorsque j’avais 20 ans et ça fait une semaine que je ressens de la tristesse et de la joie simultaném­ent. Chaque souvenir qui me revient me fait sourire, puis me pince le coeur, me rappelant que cette jeunesse innocente est bien loin derrière moi.

Tout ça pour essayer de vous faire comprendre ce que Tragically Hip représente pour moi. Gord Downie a été le peintre de bien des tableaux qui sont accrochés dans mon musée personnel. Mais je crois surtout que c’est ma propre peur de partir que j’essaye de cacher.

Tragically Hip est probableme­nt l’un des rares groupes qui n’ont pas besoin de vidéoclip puisque les images te viennent naturellem­ent en tête dès les premières notes

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