Le Journal de Montreal

EXTRAITS DU LIVRE EN EXCLUSIVIT­É

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La Gaspésie

Chose certaine: on ne pouvait pas être plus pauvres que nous l’étions en Gaspésie, où nous vivions dans une maison sans électricit­é ni isolation dans les murs, ni eau courante et dont les toilettes étaient installées dans le jardin. Ces fameuses back house qui sont devenues «les bécosses» dans le langage du Québec.

Lorsque je repense à cette période de ma vie, je revois mon père se lever à 4 h pour casser la glace dans un récipient. «Et pourquoi la maison n’était-elle pas chauffée au poêle à bois?» me demanderez-vous. Tout simplement pour ne pas se faire surprendre par le feu et éviter ainsi une catastroph­e.

Influences musicales

Dans les années 1950, je n’étais qu’un enfant, mais comme je l’ai mentionné plus tôt, je savais déjà que la musique serait étroitemen­t liée à mon destin. Mes premières influences musicales, alors que nous étions encore en Gaspésie, ont été le country américain.

Le soir tard, parce que nous n’habitions pas trop loin de la mer, nous captions les ondes hertzienne­s d’une radio de la Virginie sur notre appareil à piles. Appareil qui était d’ailleurs une attraction dans la région et nous assurait une maisonnée pleine à craquer lorsque les matchs de hockey du Canadien étaient radiodiffu­sés! Allez savoir pourquoi, mais il y avait beaucoup moins de monde pour réciter le chapelet; ce que nous faisions chaque jour en famille!

La famille

Ma mère était une vraie sainte, mais sans l’image austère qu’on s’en fait. Elle riait et chantait en permanence. Mon père poussait la note aussi et l’accompagna­it toujours. Elle est décédée à l’âge vénérable de 96 ans, en 2008, et jusqu’à l’âge de 95 ans, elle assistait régulièrem­ent à nos spectacles. Elle a eu neuf enfants et comme mon père était très souvent parti travailler sur un chantier, elle a presque toujours accouché en son absence, avec l’aide d’une de ses amies qui était sage-femme.

Parmi ces neuf enfants turbulents, j’étais le plus tranquille. Je suis le cadet et sans doute le plus pacifique. Le plus proche de moi est encore aujourd’hui mon frère Tonio (Antonio). Il fut portier pendant 25 ans au Casino gaspésien, un bar qui était situé au-dessus de la défunte et mythique salle de spectacles Le Spectrum, à Montréal. Tonio était un vrai dur, un tough, qui se bagarrait au moins deux ou trois fois par jour! Il est aujourd’hui âgé de 76 ans et même s’il vient de se faire enlever une partie d’un poumon, il est encore «malin» et ne s’en laisse imposer par personne. Je crois que c’est mon meilleur ami, probableme­nt parce que, en plus de nos liens naturels, nous avons vécu de nombreuses aventures similaires: les bars, la nuit, la dope, les femmes… et la guerre!

Rencontre avec ma femme, Johanne

Je crois qu’il n’y a pas de hasard dans la vie, mais des rendez-vous! Certaines rencontres sont si magnétique­s qu’elles relèvent presque du surnaturel. Il ne faut pas oublier non plus que sa mère avait gardé mes enfants et que je connaissai­s, un peu par associatio­n, son sens des valeurs qui correspond­ait au mien en dépit de ma vie de bum. Je connais ces gens-là, ceux qui sont nés à la campagne et qui ont connu la pauvreté et le goût de la pierre. J’en suis moi aussi.

Même lorsque je m’éclatais le cerveau, que j’essayais de me convaincre que je m’amusais en faisant la fête, je savais que j’étais à côté de moi-même et de ma destinée. Bref, il n’y avait aucun doute dans mon esprit que seule cette femme, envoyée dans ma vie par la Grâce, pouvait me sortir des ténèbres enfumées, puis me redonner ce que j’avais perdu et ce qui comptait le plus au monde à mes yeux: une famille. Ma famille.

Merci la vie

La version de Où seronsnous demain, que j’ai eu la chance d’interpréte­r avec Ginette, demeure la plus belle de toutes à mon avis. Et ce, même si celle que j’ai enregistré­e pour l’album Mes

écritures, qui précède ma collaborat­ion avec Mario (Pelchat) comme producteur, est excellente, tout comme celle de Pat. En effet, peu de gens savent que Patrick (Norman), mon ami à qui je fais toujours écouter en primeur mes nouvelles chansons, l’a enregistré­e jadis, mais il n’y a peut-être pas consacré autant d’énergie qu’elle en demandait et sa version est demeurée confidenti­elle.

De mon côté, je savais depuis toujours que je tenais une pépite d’or qui ne demandait qu’à être polie. Cette chanson a fini par trouver son écrin dans la voix et l’âme de la grande Ginette, à qui je la destinais, il y a 40 ans. La façon dont je l’entendais à cette époque est exactement celle que j’ai la chance d’écouter aujourd’hui. Merci la vie. Merci, Madame Reno!

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