Une rentrée de fin du monde
La fin du monde est dans l’air du temps. Il y a Catherine Mavrikakis qui s’y colle, avec Oscar de Profundis, dont je vous reparlerai. Disons seulement que l’état mondial a jeté à la rue des «hordes de miséreux», et qu’une épidémie mortelle ravage Montréal…
C’est un scénario classique de science-fiction, dont j’ai hâte de lire les variations sous la plume puissante de Mavrikakis. Car la fin du monde n’est pas une simple mode. Les livres, les films, les séries télé carburent à l’apocalypse parce que nous la craignons, tout simplement, et que la peur fait vendre… Mais pas seulement ça.
L’extinction des espèces, les changements climatiques, les déplacements de population, la résurgence des extr émis mes, l’instrumentalisation de la haine à des fins politiques, l’apparition de maladies résistantes aux antibiotiques, l’extrême polarisation des richesses… tout annonce des années guère joyeuses et, dans ces conditions, il apparaît souvent un peu vain de passer un an ou deux à écrire un roman sur le conflit intérieur d’un écrivain déchiré entre l’exercice de son art et les contraintes de la vie familiale. Écrire sur ma mousse de nombril pendant que le monde court à sa perte, ça ne me tente pas beaucoup, mettons.
Les écrivains, même les plus «sérieux», se tournent de plus en plus vers le suspense, l’horreur, la science-fiction, parce que les thèmes les plus importants de l’heure y sont généralement mieux abordés. C’est le cas d’Emily St-John Mandel, que l’éditeur Antoine Tanguay a fait (merci beaucoup!) traduire et qui sort en librairie ces jours-ci. L’écrivaine canadienne a réussi un très beau roman de fin du monde, dans lequel elle mêle habilement son amour de l’art, une construction en forme de cassetête et l’évocation d’un monde du futur rempli de dangers, mais qui cherche malgré tout à reconstruire une sorte de civilisation basée sur la communauté, avec les moyens du bord.
LE PIÈGE DU REPART À ZÉRO
C’est une épidémie de grippe qui ici a éliminé 90 % de la population mondiale. Ceux qui restent se débrouillent en recyclant les objets d’une civilisation anéantie. On y suit une troupe d’acteurs ambulants qui sillonne la région des Grands Lacs pour offrir aux communautés isolées le répertoire de Shakespeare. Mais c’est un roman choral, avec de nombreux personnages, et un va-et-vient constant entre le passé prépandémie et le «présent», qui se déroule vingt ans plus tard.
C’est beau, c’est bon, c’est très bien fait. Ça donne plus au lecteur qu’un bon divertissement. Ça porte aussi à réfléchir…
Mais, bon, rien n’est parfait, et la «pandémie» est un bien commode artifice pour écrire un roman qui se déroule dans un monde dépeuplé… Or, nous serons bientôt 10 milliards d’individus sur Terre, et même s’il en crevait la moitié, ça ne nous ramènerait qu’au niveau de 1980… 90%? Au niveau de 1850… C’està-dire le début de l’ère industrielle... Station Eleven est un excellent roman. N’empêche que sa prémisse tombe dans le piège de la pandémie, qui redonne en un instant l’ensemble de la Terre à une poignée d’individus qui se débrouillent pour «recommencer».
J’attends encore le livre de la fin du monde qui nous montrera à quel point c’est long et pénible, de voir mourir 9 milliards d’humains.