Le Journal de Montreal

De livreur à vélo à dirigeant d’une compagnie

Ce fils d’immigrants a fondé une entreprise pharmaceut­ique qui emploie aujourd’hui 1700 personnes

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Certains ont grandi au Québec dans un milieu modeste, d’autres ont traversé l'océan avec presque rien dans les poches pour immigrer. Le Journal a rencontré cinq entreprene­urs partis de rien, qui mettent aujourd'hui un point d'honneur à redonner à la société.

Pour nourrir sa famille, son père transforma­it des sacs de farine de jute en serviettes de table. Rien dans ses origines ne laissait présager que ce fils d’immigrants, qui se faisait traiter de pirate dans sa jeunesse, deviendrai­t le fondateur de l’un des plus importants fabricants de médicament­s génériques au Canada.

Morris Goodman et son jumeau voient le jour à Montréal en 1931. Même si sa santé est fragile, il survit, tandis que son frère, à qui l’on prédisait plus de chances de vivre, décède. «Ma première leçon importante en science médicale et dans la vie: personne ne peut prédire l’avenir», écrit l’homme de 84 ans dans sa biographie Prescripti­on pour une vie réussie.

Ses parents avaient quitté l’Ukraine pour fuir les émeutes et pillages dirigés contre les Juifs. Ils avaient peu d’éducation et ne parlaient que le russe, l’ukrainien et le yiddish, relate-t-il.

«Je ne me souviens pas avoir eu beaucoup d’amis ou joué au hockey ou au baseball comme les autres enfants du quartier», écrit ce cadet d’une famille de trois enfants, qui a grandi dans le Mile-End en pleine Grande Dépression.

Il se décrit pourtant comme un «enfant gâté». «J’ai vécu chez mes parents jusqu’à l’âge de 29 ans», a-t-il confié au Journal en riant, sa joie de vivre palpable au bout du fil.

VOCATION

À 10 ans, il a lui-même approché le propriétai­re d’une pharmacie de la rue Van Horne, qui allait devenir son mentor. Une semaine plus tard, il avait son premier emploi comme livreur à vélo.

Même s’il n’était pas très motivé à l’école, il lui arrivait de passer ses weekends à lire le British Pharmacope­ia.

«J’ai eu la chance de toujours savoir ce que je voulais faire dans la vie», écrit-il.

C’est donc à l’Université de Montréal qu’il étudiera la pharmacie, dans la même classe que Jean Coutu.

Avant même d’avoir son diplôme à l’âge de 21 ans, il fonde avec un ami sa toute première entreprise de distributi­on de médicament­s: Winley-Morris.

«JE NE DORMAIS PAS»

À cette époque, il travaille les matins, les soirs et les fins de semaine à la pharmacie de son mentor et passe ses après-midis à rencontrer des dermatolog­ues pour distribuer des produits.

«Quand est-ce que je dormais? Eh bien, je ne dormais pas», dit-il dans sa biographie.

En 1953, on lui propose de distribuer au Canada un traitement reconnu contre la tuberculos­e, un de ses premiers bons coups. Il se souvient de sa première commande : 10 bouteilles pour une facture de 125$. Une fortune pour l’époque.

Son secret: sa facilité à communique­r son enthousias­me.

«Il contamine les gens autour, explique Jean-Guy Goulet, un de ses concurrent­s. La passion contagieus­e de Morris, c’est la seule chose contre laquelle [nous autres pharmacien­s] ne voulons pas trouver de remède», ironise-t-il.

«PIRATE»

M. Goodman devient rapidement un pionnier des médicament­s génériques, bien avant que cette industrie ne connaisse son essor.

«Je me suis fait traiter de “pirate” par les multinatio­nales quand j’ai commencé à vendre des génériques dans les années 1950 et 1960», écrit-il.

Au début des années 1970, WinleyMorr­is vend chaque année plus d’un million de dollars en médicament­s. C’est alors qu’il se retrouve devant un énorme dilemme. À l’âge de 39 ans, la pharmaceut­ique ICN lui fait une offre d’achat qu’il ne peut refuser. Il accepte de vendre à reculons.

Encore aujourd’hui, M.Goodman est persuadé que s’il n’avait pas vendu Winley-Morris, sa compagnie serait le joueur numéro un dans l’industrie des génériques au Canada, plutôt que numéro trois, écrit-il.

Après la vente, il dirige la branche canadienne d’ICN, jusqu’à ce que la maison-mère connaisse des problèmes au début des années 1980. À l’âge de 52ans, il est congédié de la compagnie à laquelle il avait confié son bébé.

Étonnammen­t, ce revers lui procure du soulagemen­t et lui laisse le champ libre pour revenir à ses anciennes amours.

Avec un ancien employé, il fonde Pharmascie­nce en 1983, qui connaîtra une grande croissance et qui emploie aujourd’hui 1700 personnes, dont 1600 au Canada. Elle est aussi la plus grande donneuse d’emplois du milieu pharmaceut­ique au Québec. Elle reste tout de même une entreprise familiale, dirigée par son fils, David.

FERMER LES LUMIÈRES

«Pour Morris Goodman, il n’y a pas de limite. S’il y a du monde sur Mars, il va aller leur vendre des pilules», observe en riant Jean-Louis Gélinas, un autre de ses concurrent­s.

M. Gélinas se souvient de l’époque où il louait un espace dans les bureaux de Pharmascie­nce, au début des années 2000. Passé 21h, il reçoit un coup de fil de M. Goodman. «Comment se fait-il que vous n’ayez pas fermé les lumières?» s’indignait-il. «Il sait ce que ça vaut un dollar», remarque M. Gélinas.

« Ma Première leçon importante en science Médicale et dans la vie : personne ne peut prédire l’avenir » – Morris Goodman, dans sa biographie

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Dominique Scali dominique.scali@quebecorme­dia.com

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