La bataille perdue
Jean-François Lisée a dorénavant de la compétition dans le domaine des stratégies sournoises. Au deuxième débat officiel de la course à la chefferie, Martine Ouellet réussissait à faire trébucher Alexandre Cloutier en lui tendant un immense piège à ours.
Prônant tout à coup l’unilinguisme français dans l’affichage commercial tel que prévu initialement par la loi 101, Mme Ouellet jurait aussi que pour le faire, elle invoquerait la clause dérogatoire des chartes canadienne et québécoise des droits et libertés.
Ouvrant le piège encore plus grand, elle se disait même prête à reprendre une autre section initiale de la loi 101. Traduction : elle ferait fi de l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 imposant le bilinguisme au système législatif et judiciaire du Québec.
PIÈGE à OURS
En s’y refusant, le piège s’est refermé illico sur M. Cloutier avec huées en extra. Mme Ouellet n’est pourtant pas sans savoir que la constitution de 1867 ne contient aucune dérogation. Ou qu’en 1981, la Cour suprême statuait qu’il était impossible pour le Québec d’agir unilatéralement sur l’art.133. Bref, seule l’indépendance peut le faire.
Sur le plan tactique, son piège était cependant parfait. Comme disent les Anglais, ne laissez pas les faits saboter une bonne histoire.
Idem pour l’affichage. Qui se souvient du moment fatidique, le vrai, où la bataille politique pour l’affichage unilingue fut perdue pour de bon? Ce moment s’est pourtant passé en novembre 1996 sur le plancher d’un congrès du PQ.
Lucien Bouchard y jurait qu’il serait incapable de se «regarder dans le miroir» si son parti votait pour l’affichage unilingue et la clause dérogatoire. Une telle sortie laissait entendre que l’usage même de cette clause serait antidémocratique et un signe d’intolérance envers les non-francophones.
DÉVASTATEUR
Parce qu’il venait d’un premier ministre péquiste, le message fut dévastateur. Quel premier ministre oserait dorénavant passer pour un xénophobe en invoquant une clause dérogatoire honnie même par un chef péquiste? Poser la question, comme dirait l’autre.
Mais qui s’en souvient encore? Qui se souvient même du rôle de premier plan joué à l’époque par Jean-François Lisée, conseiller de M. Bouchard? Qui se souvient du fameux «discours du Centaur», également rédigé par M. Lisée?
Livré par M. Bouchard après le «congrès du miroir», ce discours sacrifiait tout renforcement élargi de la loi 101 au nom d’une «réconciliation» postréférendaire illusoire avec les leaders anglo-québécois. Si le français recule encore, c’est parce qu’au moment d’agir, rien de concret n’a été fait pour en bonifier le statut.
Qu’on le comprenne bien. Soulever enfin la question linguistique dans la course à la chefferie est une excellente chose. Le faire avec mémoire et en tablant sur les faits serait toutefois plus productif.
Miser sur les vraies urgences - francisation des immigrants et des milieux de travail -, serait certes moins «tactique» que de brandir la clause dérogatoire ou le nom de l’imam Charkaoui, mais combien plus constructif pour la suite des choses au Québec.