Le Journal de Montreal

L’un des plus sombres polars de R. J. Ellory

Dans ce tout nouveau polar, R. J. Ellory met en scène un personnage particuliè­rement sinistre qui saura pourtant nous toucher droit au coeur.

- KARINE VILDER Collaborat­ion spéciale

En moins d’une décennie, l’écrivain britanniqu­e R. J. Ellory a réussi à percer grâce à sa plume particuliè­rement affûtée : depuis Seul le silence et Vendetta, qui ont tous deux séduit les critiques et remporté quelques prix au tournant des années 2010, il se plaît à disséquer au scalpel les principaux travers de la société américaine tout en remuant de temps à autre le couteau avec d’incroyable­s histoires de corruption.

«En fait, je m’intéresse surtout à la façon dont les gens pensent, à la façon dont ils prennent des décisions», explique l’écrivain, qu’on a joint entre deux sessions d’enregistre­ment, son groupe de blues, les Whiskey Poets, s’apprêtant à sortir un nouvel album. «Quand j’écris un livre, je m’arrange toujours pour que les personnage­s soient confrontés à une situation problémati­que qui les obligera tour à tour à tester leur jugement et à assumer les conséquenc­es de leurs actes. Lorsqu’un enfant commet une bêtise et qu’on lui demande pourquoi il a fait ça, il répondra presque systématiq­uement qu’au moment où il a agi, ça semblait être une bonne idée. La même chose se produit en vieillissa­nt : on fait plein de trucs qu’on ne devrait pas faire parce que sur le coup, on croit aussi que ce sont de bonnes idées.»

Vincent Madigan, le héros d’Un coeur sombre, son tout nouveau (et excellent) polar, a ainsi passé les 20 dernières années à enchaîner les mauvais choix en présumant chaque fois qu’ils étaient judicieux. Car dès l’instant où il s’est acoquiné avec Sandià, le truand le plus influent d’East Harlem, sa vie a peu à peu basculé du côté obscur des forces… policières. Appartenan­t à la brigade des vols et homicides de la 167e division, Vincent Madigan est en effet devenu l’un des pires ripous du NYPD. Ce qu’aucun de ses supérieurs ne peut soupçonner, l’homme ayant à son actif un taux d’arrestatio­ns littéralem­ent mirobolant.

Vols de nuit

«Il y a quelques années, j’ai rencontré à Washington une policière de 63 ans extrêmemen­t brillante qui ne recevait presque jamais d’appels personnels, raconte R. J. Ellory. Elle ne vivait que pour son travail et lorsque je lui ai demandé pourquoi elle y était aussi accro, elle m’a répondu que la vérité était nettement plus addictive que l’héroïne. Cette policière m’a inspiré le personnage central des Anges de New York [paru en 2012], un bon flic prêt à tout sacrifier (même sa famille!) pour découvrir la vérité et garder la tête haute.»

«Après avoir terminé ce livre, je me suis dit qu’il serait intéressan­t d’écrire un roman dans lequel le héros serait le parfait contraire de celui des Anges de New York, poursuit R. J. Ellory. Un héros qui serait flic lui aussi, mais un flic qui mentirait, qui collection­nerait les faits d’armes grâce à ses contacts dans le milieu de la pègre, qui prendrait toutes sortes de pilules copieuseme­nt arrosées d’alcool et qui serait même capable d’organiser un braquage pour rembourser ses dettes de jeu...»

Un coeur sombre commence d’ailleurs avec ledit braquage, et il faut vraiment avoir le coeur bien accroché pour lire les très sombres chapitres qui en découlent. Car la principale stratégie de Vincent étant de tuer avec d’être tué, ce dernier ira même jusqu’à descendre ses trois acolytes en espérant qu’avec ce triple meurtre, plus personne ne pourra souffler à Sandià le nom de celui qui a eu la brillante idée de lui piquer 360 000 malheureux dollars.

L’ironie de la situation? C’est Vincent qui sera chargé d’enquêter sur le sanglant braquage qui vient de se dérouler dans l’un des repères de Sandià, et c’est à Vincent que Sandià confiera le mandat de découvrir qui a bien pu avoir l’audace de le voler sur son propre territoire.

des dépendance­s à l’indépendan­ce

Habitué depuis des années à gober Xanax, Klonopin, Adderall, Benzédrine, Quaalude, lithium ou Librium pour étouffer ses états d’âme et réussir à fonctionne­r à peu près normalemen­t, Vincent comprendra cette fois qu’aucune pilule miracle ne saura l’aider à teinter de rose sa très noire réalité : ayant trop longtemps déconné sur tous les plans – avec deux mariages ratés et quatre enfants qu’il ne voit presque jamais, sa vie personnell­e est aussi pathétique que sa vie profession­nelle –, il tentera de se tirer d’affaire en partant du principe qu’il n’est jamais trop tard pour se racheter une conduite.

«Après avoir été une mauvaise personne presque toute sa vie durant, il y a ce moment où Vincent réalise qu’il gagnerait sûrement beaucoup à faire le bien, précise R. J. Ellory. Le problème, c’est que peu importe ce qu’il fera pour y arriver, il ne fera qu’empirer les choses. Ça explique sans doute pourquoi mon éditeur a comparé Un coeur sombre à une tragédie de Shakespear­e qui aurait été écrite sous crack!»

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 ??  ?? Un coeur sombre R. J. Ellory, aux Éditions Sonatine, 496 pages
Un coeur sombre R. J. Ellory, aux Éditions Sonatine, 496 pages

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