Comment parler de viol ?
En 2015, le célèbre magazine américain Rolling
Stone a dû se rétracter et retirer un article sur une horrible histoire de viol collectif qui aurait été commis à l’université de Virginie.
L’enquête de la police, qui a duré quatre mois, sur les allégations de la présumée victime, n’avait pu déterrer la moindre preuve que ce viol avait réellement eu lieu. Le Rolling
Stone s’est excusé pour ce «fiasco journalistique». Quelles sont les leçons que les médias québécois devraient tirer de cette histoire?
UNE HISTOIRE QUI S’ÉCROULE
Le Rolling Stone avait publié en 2014 le reportage Un viol sur le campus racontant comment Jackie (un pseudonyme) avait été violemment agressée sexuellement par sept hommes, à tour de rôle.
Après s’être rendu compte que le témoignage de Jackie n’était pas assez crédible, le magazine Rolling Stone a demandé au département de journalisme de l’Université Columbia de mener une enquête indépendante pour comprendre «ce qui s’était mal passé».
La journaliste n’a jamais cherché à contacter les présumés agresseurs, et n’a jamais même vérifié s’ils existaient vraiment. Elle s’est basée presque exclusivement sur la version de Jackie, sans faire de vérifications de base.
Si vous lisez le rapport de Columbia, vous allez lire ceci: «La faute principale du Rolling Stone a été d’être trop accommodant avec Jackie, parce qu’elle se décrivait ellemême comme la survivante d’une terrible agression sexuelle». Autrement dit, la journaliste n’a pas voulu la brasser, la questionner, parce que «ça ne se fait pas de confronter une survivante de viol».
Les psychologues et les spécialistes des traumatismes ont réussi à convaincre les journalistes qu’il ne fallait pas «traumatiser» à nouveau les présumées victimes en remettant en question des aspects de leurs témoignages. Les éditeurs de
Rolling Stone eux-mêmes l’ont admis: «Nous avons été trop respectueux avec la présumée victime. On aurait dû être plus dur avec elle.»
Le rapport de l’Université Columbia est très clair: «On ne rend pas service aux victimes si les journalistes qui couvrent leur cause ne font pas de vérifications rigoureuses. Ça ne fait qu’alimenter le scepticisme à leur égard.» UNE CHOSE ET SON CONTRAIRE
Dans l’affaire Alice Paquet, les journalistes québécois, tous médias confondus, ont posé des questions, enquêté, fouillé. Ils ont mis en lumière des contradictions ou des omissions dans son témoignage.
Or, il s’est trouvé des observateurs pour reprocher aux journalistes ou aux chroniqueurs de soulever des questions sur la présumée victime.
Être victime d’agression sexuelle est une chose horrible. Mais ça ne signifie pas qu’on peut dire une chose et se revirer de bord à 180 degrés sans que personne ne se pose des questions.
LE BON DIEU SANS CONFESSION
Depuis une semaine, la journaliste qui a écrit le fameux reportage de Rolling Stone subit son procès: une administratrice de l’Université la poursuit pour diffamation. C’est assez ironique qu’aux États-Unis une journaliste se retrouve en procès parce qu’elle n’a pas suffisamment posé de questions et qu’elle a trop «cru sur parole» une présumée victime d’agression sexuelle. Alors qu’au Québec, certains reprochent aux journalistes et aux chroniqueurs de ne pas «croire» la version de présumées victimes les yeux fermés.