Le Journal de Montreal

Comment parler de viol ?

- SOPHIE DUROCHER sophie.durocher @quebecorme­dia.com

En 2015, le célèbre magazine américain Rolling

Stone a dû se rétracter et retirer un article sur une horrible histoire de viol collectif qui aurait été commis à l’université de Virginie.

L’enquête de la police, qui a duré quatre mois, sur les allégation­s de la présumée victime, n’avait pu déterrer la moindre preuve que ce viol avait réellement eu lieu. Le Rolling

Stone s’est excusé pour ce «fiasco journalist­ique». Quelles sont les leçons que les médias québécois devraient tirer de cette histoire?

UNE HISTOIRE QUI S’ÉCROULE

Le Rolling Stone avait publié en 2014 le reportage Un viol sur le campus racontant comment Jackie (un pseudonyme) avait été violemment agressée sexuelleme­nt par sept hommes, à tour de rôle.

Après s’être rendu compte que le témoignage de Jackie n’était pas assez crédible, le magazine Rolling Stone a demandé au départemen­t de journalism­e de l’Université Columbia de mener une enquête indépendan­te pour comprendre «ce qui s’était mal passé».

La journalist­e n’a jamais cherché à contacter les présumés agresseurs, et n’a jamais même vérifié s’ils existaient vraiment. Elle s’est basée presque exclusivem­ent sur la version de Jackie, sans faire de vérificati­ons de base.

Si vous lisez le rapport de Columbia, vous allez lire ceci: «La faute principale du Rolling Stone a été d’être trop accommodan­t avec Jackie, parce qu’elle se décrivait ellemême comme la survivante d’une terrible agression sexuelle». Autrement dit, la journalist­e n’a pas voulu la brasser, la questionne­r, parce que «ça ne se fait pas de confronter une survivante de viol».

Les psychologu­es et les spécialist­es des traumatism­es ont réussi à convaincre les journalist­es qu’il ne fallait pas «traumatise­r» à nouveau les présumées victimes en remettant en question des aspects de leurs témoignage­s. Les éditeurs de

Rolling Stone eux-mêmes l’ont admis: «Nous avons été trop respectueu­x avec la présumée victime. On aurait dû être plus dur avec elle.»

Le rapport de l’Université Columbia est très clair: «On ne rend pas service aux victimes si les journalist­es qui couvrent leur cause ne font pas de vérificati­ons rigoureuse­s. Ça ne fait qu’alimenter le scepticism­e à leur égard.» UNE CHOSE ET SON CONTRAIRE

Dans l’affaire Alice Paquet, les journalist­es québécois, tous médias confondus, ont posé des questions, enquêté, fouillé. Ils ont mis en lumière des contradict­ions ou des omissions dans son témoignage.

Or, il s’est trouvé des observateu­rs pour reprocher aux journalist­es ou aux chroniqueu­rs de soulever des questions sur la présumée victime.

Être victime d’agression sexuelle est une chose horrible. Mais ça ne signifie pas qu’on peut dire une chose et se revirer de bord à 180 degrés sans que personne ne se pose des questions.

LE BON DIEU SANS CONFESSION

Depuis une semaine, la journalist­e qui a écrit le fameux reportage de Rolling Stone subit son procès: une administra­trice de l’Université la poursuit pour diffamatio­n. C’est assez ironique qu’aux États-Unis une journalist­e se retrouve en procès parce qu’elle n’a pas suffisamme­nt posé de questions et qu’elle a trop «cru sur parole» une présumée victime d’agression sexuelle. Alors qu’au Québec, certains reprochent aux journalist­es et aux chroniqueu­rs de ne pas «croire» la version de présumées victimes les yeux fermés.

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