Le Journal de Montreal

Il a perdu sa fille au Bataclan

Depuis un an, le père d’une victime de l’attaque terroriste au Bataclan, à Paris, cherche les mots pour raconter la douleur qui l’afflige. Et c’est en écrivant un livre qu’il y est parvenu.

- Annabelle Blais ABlaisJDM annabelle.blais@quebecorme­dia.com

Le 13 novembre 2015, George Salines a croisé sa fille, Lola 28 ans, vers midi à la piscine, comme ça lui arrivait souvent. Lola est partie sans lui dire que le soir même, elle allait voir le groupe américain Eagles of Death Metal, au Bataclan. À 1 h du matin, il a été réveillé par un de ses deux fils qui lui a annoncé au téléphone qu’une attaque avait eu lieu, que Lola s’y trouvait, et qu’il n’arrivait pas à la joindre sur son cellulaire. Pendant ce temps, au Bataclan, l’assaut final des policiers avait été donné. Les trois terroriste­s avaient été tués. Les quelque 90victimes reposaient au sol. Les policiers raconteron­t plus tard avoir été marqués par le bruit des téléphones de victimes qui continuaie­nt de sonner. C’est ainsi qu’a commencé la nuit la plus longue pour ce père de 59 ans.

Vous avez été plongé dans la tragédie du 13 novembre 2015 par une longue recherche de 18 heures pour retrouver votre fille…

Oui, il y avait un numéro d’urgence qui défilait sur l’écran de télévision pour obtenir des informatio­ns sur les gens dont on était sans nouvelles. Mais personne ne répondait et j’ai seulement réussi à parler à quelqu’un à 5 h du matin. La téléphonis­te m’a dit que ma fille n’était pas sur leur liste […] et m’a donné le numéro de l’assistance des hôpitaux de Paris, qui m’a donné des numéros d’autres hôpitaux. Chaque fois, ils disaient qu’on me rappellera­it, mais personne ne le faisait. Parallèlem­ent, j’avais mis des messages sur Facebook et Twitter. En fin d’aprèsmidi, j’ai reçu des messages de condoléanc­es, mais ces messages ont été démentis.

Pendant toutes ces heures, gardiez-vous espoir ?

J’ai perdu espoir quand je me suis rendu à l’hôpital Pompidou, en fin d’après-midi [le 14 novembre]. On nous avait dit que la plupart des blessés du Bataclan y avaient été dirigés. Mais sur place, tous les blessés avaient été identifiés et Lola ne s’y trouvait pas. Ça me paraissait peu probable qu’elle ait survécu. Mais je n’ai vraiment perdu totalement espoir que lorsqu’on m’a annoncé son décès. J’ai rappelé le numéro d’urgence et c’est là [vers 18 h 30] qu’on m’a confirmé le décès de ma fille au téléphone, et la police judiciaire m’a appelé quelques minutes plus tard pour confirmer le décès et un autre ensuite. C’était lamentable d’autant que par la suite, j’ai su que le corps de ma fille a été identifié à 5 h du matin. C’est un ratage complet.

Que savez-vous des dernières heures de votre fille ?

Elle était au Bataclan avec une amie et le copain de cette dernière. Avant le concert, le garçon ne se sentait pas très bien alors le couple est resté un peu en arrière. Mais Lola est allée dans les premiers rangs. Ce que je sais par les divers témoignage­s, c’est qu’elle a été frappée très vite dans les premiers moments de l’attaque. Tout laisse à penser qu’elle n’a pas souffert et qu’elle a été tuée sur le coup.

Vous avez décrit votre fille comme une personne très souriante, une éditrice qui aimait le roller derby…

C’était quelqu’un de très talentueux qui aimait beaucoup la vie. Elle était toujours optimiste, c’était quelqu’un qui ne jugeait pas les autres, qui était amical. C’est une perte énorme…

Comment avez-vous vécu la dernière année ?

Sur le plan personnel, j’ai passé la phase aiguë du deuil, et en même temps, je suis conscient que le reste de ma vie sera toujours marqué par l’absence de ma fille. J’ai beaucoup réfléchi à cette question et j’ai écrit un livre pour ça. J’ai une certaine sérénité par rapport à ça.

Vous avez trouvé refuge dans la course à pied et l’écriture. Vous venez d’ailleurs de publier un livre sur votre deuil aux éditions du Seuil.

Oui, la course c’est quelque chose qui a toujours fait partie de ma vie et ça fait partie des choses qui n’ont pas changé après le 13 novembre. L’écriture, c’est quelque chose de nouveau. Je me suis plongé dans l’écriture de ce dictionnai­re

L’Indicible de Aà Z très vite après le 13 novembre. C’était un besoin, quelque chose de thérapeuti­que qui m’a permis de penser à ma fille, à ce que nous vivons et de prendre des distances. Dans les premières semaines, j’étais incapable d’y penser sans être bouleversé, mais j’étais capable d’écrire en maîtrisant mes émotions.

Vous dites dans votre livre que la vie après Lola est une vie avec une nouvelle dimension, c’est-à-dire ?

C’est une des choses les plus complexes. Je veux bien me faire comprendre. C’est l’idée que dans la tragédie, d’être percuté par l’histoire, il y a quelque chose qui vous fait souffrir, mais qui soulève aussi une passion. De la passion dans l’écriture, dans le combat associatif.

Dans la dernière année, vous avez aussi fondé une associatio­n de proches de victimes, l’associatio­n «13 novembre : fraternité et vérité». Quel était votre objectif ?

J’ai eu envie de rencontrer les autres familles de victimes, d’échanger. Je sentais qu’on avait vécu la même chose, et on avait des choses à défendre en commun. Cette associatio­n travaille sur les messages qu’on voulait faire passer.

Quels sont ces messages ?

Je voulais m’assurer que les proches des personnes disparues n’auraient plus à aller à la pêche aux informatio­ns en faisant le tour des hôpitaux sans aucun soutien et qu’on leur annonce comme ça au téléphone la mort de leur enfant. C’est inhumain. Je voulais travailler pour améliorer ça. Et la deuxième chose que je voulais dire, c’est que la France avait subi une agression frontale, mais qu’il ne fallait pas avoir une réaction stupide de haine et d’agressivit­é.

 ??  ?? Lola et son père, Georges Salines. En tout, 130 personnes ont été tuées dans les attaques de Paris, dont 90 au Bataclan.
Lola et son père, Georges Salines. En tout, 130 personnes ont été tuées dans les attaques de Paris, dont 90 au Bataclan.
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