Le Journal de Montreal

Je me souviens de Leonard Cohen

- SOPHIE DUROCHER sophie.durocher @quebecorme­dia.com

Nous étions tous sous le charme du poète, tous unis par cet amour pour son humour grinçant, sa vérité.

J’ai rencontré deux fois mon idole, Leonard Cohen. Une première fois, dans un restaurant du boulevard St-Laurent. J’étais assise sur la banquette, il était sur la banquette opposée. Mon dos contre son dos. Je n’ai jamais eu le courage de lui adresser la parole. J’étais tétanisée.

Puis en 2006, alors que j’étais animatrice à Espace Musique, Radio-Canada m’a demandé de coanimer le gala du Canadian Songwriter­s Hall of Fame. On allait introniser Gilles Vigneault et Leonard Cohen.

Timidement, lors de la réception avant le gala, je me suis présentée à Lenny. Il fallait que je lui dise à quel point sa musique était importante dans ma vie, à quel point il avait su trouver les mots justes pour sonder l’âme humaine. Je l’ai remercié pour ses mots, sa musique. Son sourire énigmatiqu­e était intact. Il m’a remerciée, en français. Ses mains étaient jointes, comme un namaste à la Lenny.

Je ne l’oublierai jamais.

SOIRÉE INOUBLIABL­E

Au gala, Adrienne Clarkson a fait un discours brillant pour présenter Leonard Cohen.

Quand Cohen est monté sur scène, il était en pleurs. Avec son petit mouchoir de soie, il s’est essuyé les yeux puis il l’a remerciée en lui disant: «If I knew where the good songs came from, I would go there more often» (Si je savais d’où viennent les bonnes chansons, j’irais à la source plus souvent). Moi je crois qu’il avait la carte précise pour se rendre à cette source et qu’il y allait souvent.

Puis il a cité Georges Dor et sa chanson La Manic. «Si tu savais comme on s’ennuie, à la Manic, tu m’écrirais bien plus souvent, à la Manicouaga­n». C’est ce qu’on fait, expliquait Cohen, entre nous, êtres humains, on s’écrit des lettres pour éteindre l’ennui. Puis il nous a remerciés d’avoir lu ses lettres à lui, comme si ses chansons étaient des bouteilles à la mer pour noyer notre peine.

Willie Nelson a chanté Bird On A Wire. Rufus Wainwright a chanté Everybody Knows. La salle était transporté­e, on communiait tous à notre amour pour le grand Lenny.

Et puis... Et puis, kd lang est arrivée sur scène. Pieds nus. Et en regardant Leonard Cohen dans les yeux, elle a chanté Hallelujah. Elle a fini la chanson à genoux. Et nous aussi.

C’était la première fois qu’elle la chantait et on aurait entendu pleurer les anges. Je n’oublierai jamais cette soirée. Le sourire coquin du gentleman Cohen, les pieds nus de kd lang, la voix rauque de Willie Nelson, le cabotinage de Rufus Wainwright. Nous étions tous sous le charme du poète, tous unis par cet amour pour son style et sa manière, son humour grinçant, sa vérité.

Ce soir, je repense à cette soirée et j’ai envie de dire: «Merci la vie de m’avoir permis de partager ce moment unique avec l’homme dont les mots ont été si justes, si forts, si lourds de sens.»

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