Le Journal de Montreal

LEONARD COHEN

Un gros rôle dans ma vie

- lise RavaRy

«L’idée du coeur brisé est absolument essentiell­e à toute oeuvre artistique. Voilà ce que nous cherchons: apaiser le coeur brisé, vivre avec le coeur brisé.» – Leonard Cohen.

J’ai honte. Qui suis-je pour me croire capable de pétrir la langue avec assez d’adresse pour honorer un tel poète? Comment une chroniqueu­se à la petite semaine peut-elle rendre un hommage qui vaille à Leonard Cohen?

Mais il a joué un trop grand rôle dans ma vie pour que je renonce à lui dire merci pour toutes les fois où, compagnon indéfectib­le de mes peines d’amour, il m’extirpait de l’abîme le temps d’une chanson-guérison.

EN FRANÇAIS, SVP

Au début des années 1990, j’ai eu envie de traduire Leonard Cohen en français. Je souhaitais que mes compatriot­es puissent eux aussi goûter à cette poésie richement dépouillée, livrée en mode mineur, un curieux mélange d’épines, de soieries et d’une lumineuse noirceur pour éclairer le chemin.

J’ai échoué. Heureuseme­nt que le poète québécois Michel Garneau, un ami de Cohen, s’est porté volontaire. Il a traduit The Book of Longing, un recueil de poèmes et de dessins paru en 2006, devenu Le livre du constant désir (L’Hexagone) et publié Étrange musique étrangère, une anthologie poétique. Si vous ne parlez pas anglais et que vous voulez comprendre pourquoi la Terre entière pleure ce grand Montréalai­s, la réponse s’y trouve.

Je ne l’ai jamais interviewé ni rencontré. Je lui faisais un signe de tête quand je le croisais chez Bagel Etc. un boui-boui juif de la rue Saint-Laurent, mais jamais je n’aurais osé l’aborder. En partie parce que je suis timide, mais aussi parce que je ne voulais pas être déçue.

L’écrivain américain Paul Theroux m’avait dit un jour qu’il valait mieux ne pas rencontrer les auteurs que l’on admire, qui sont presque toujours de meilleurs êtres humains sur la page que sur un tabouret de bar, faisant semblant de s’intéresser aux questions d’une journalist­e.

Theroux avait raison en ce qui concerne Cohen. Je l’ai boudé pendant ses années passées dans un monastère bouddhiste californie­n, choquée par la biographie d’Ira B. Nadel, Leonard Cohen, le Canadien errant, parue en 1996.

Cohen, séducteur devant l’Éternel, n’a pas toujours été un gentleman, ni même décent avec les femmes, y compris la mère de ses enfants Adam et Lorca. Les versements de pension alimentair­e n’étaient pas, par moments, réguliers, selon Nadel.

LE RETOUR

Mais je suis revenue à lui, peu à peu, portée par des nouvelles chansons comme A thousand kisses deep, Going home. Je suis retombée en amour avec le troubadour de mon adolescenc­e, avec sa voix, ses mains, sa musique, ses mots. Son visage que même l’extrême vieillesse n’avait pas réussi à enlaidir.

J’ai bouclé la boucle au Centre Bell en 2012, quand il a chanté La Manic de George Dor. Je m’étais toujours demandé quel était son rapport à la culture québécoise. Ce soir-là, il a servi la réponse sur un plateau d’or. Il avait fait la même chose pour la France en 1969 en reprenant La complainte du partisan, un chant de la Résistance. Ma préférée.

Quand il chantait en français, j’avais l’impression qu’il chuchotait dans mon oreille.

La mort l’a ramené chez lui. Sa sépulture sur le mont Royal deviendra sans doute un lieu de pèlerinage. J’irai bientôt moi aussi lui faire un dernier signe de tête et mettre un caillou sur sa tombe, à la manière juive.

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Je suis retombée en amour avec le troubadour de mon adolescenc­e, avec sa voix, ses mains, sa musique, ses mots. Son visage que même l’extrême vieillesse n’avait pas réussi à enlaidir.
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