Le Journal de Montreal

Des hausses « dérisoires »

Travailleu­rs dénoncent les augmentati­ons de 0,25 $ ou 0,50 $ l’heure selon l’emploi

- CATHERINE BOUCHARD ET MARC-ANDRÉ GAGNON

QUÉBEC | Les travailleu­rs à pourboire et ceux payés au salaire minimum qualifient de «dérisoires» les hausses de salaire annoncées hier et estiment qu’en fin de compte, ces quelques sous de plus n’auront pas un grand impact sur leur capacité financière.

Le salaire minimum passera de 10,75 $ à 11,25 $ l’heure à compter du 1er mai, a confirmé hier matin la ministre du Travail, Dominique Vien. Le salaire des employés à pourboire, quant à lui, ne fera un bond que de 25 cents. Il passera de 9,20 $ à 9,45 $ de l’heure.

«C’est dérisoire, 25 cents. On s’en balance», lance Julie Blouin-Maurice, serveuse au restaurant Montego. Selon elle, le salaire horaire est tellement minime, que les serveurs s’attardent surtout au montant des pourboires qu’ils gagnent. «Les serveurs peuvent faire minimum 800 $ de pourboire par semaine et gagneront 400 $, en moyenne et aux deux semaines, en salaire horaire», fait-elle valoir.

SUPRESSION­S DE POSTES

Pour Frédérique Lamontagne, également salariée à pourboire au St-Hubert de Lévis, c’est sur les effectifs que la hausse risque de se faire sentir. «Les restaurate­urs ne pourront pas augmenter les prix par assiette. Ils vont couper dans le personnel», croit-elle.

La ministre du Travail a expliqué que c’est par «équité» que son gouverneme­nt a ramené à 20 % l’écart entre le taux général du salaire minimum et celui des salariés à pourboire, comme c’était le cas dans les années 70, 80 et 90. «C’est une demande qui nous est faite par l’Associatio­n des restaurate­urs du Québec de revenir à cet écart [...] ce à quoi nous avons dit oui, tout simplement», a résumé la ministre Vien.

«Les serveurs à pourboire gagnent deux à trois fois le salaire minimum, alors… […] Il y a une espèce de situation qu’on retrouve chez les restaurate­urs qu’on ne retrouve pas nulle part ailleurs dans les autres commerces», a-telle ajouté.

MÊME RYTHME DE VIE

Payée un peu plus cher que le salaire minimum chez Escomptes Fortin-Michaud, Karine Pouliot ne compte pas changer son rythme de vie lorsqu’elle touchera 11,25 $ de l’heure. «C’est environ 40 $ de plus par mois. Ce n’est pas ce qui va nous enrichir plus», lance-t-elle.

Des entreprene­urs anticipent négativeme­nt cette hausse à venir. «Ça va accélérer l’inflation. Ça ne va pas nécessaire­ment mettre plus d’argent dans les poches du travailleu­r», croit Éric Millier, propriétai­re des restaurant­s L’oeil du dragon. Restaurate­urs et petits commerçant­s seront durement touchés, selon lui.

Le propriétai­re de l’agence d’événements People, Patrick Lavoie, prévoit une diminution de ses marges de profit.

Les dépanneurs chinois vont-ils cesser de vendre du lait dans leurs établissem­ents, comme le menace leur associatio­n? Le millier de membres de l’Associatio­n des dépanneurs chinois du Québec seraient en effet excédés des faibles marges de profit et surtout, de la décision de grandes laiteries de ne plus reprendre les litres invendus.

Depuis mai, les grandes laiteries ont en effet changé leurs règles, prétextant que certains détaillant­s faisaient mal leurs inventaire­s, explique Florent Gravel, président-directeur général de l’Associatio­n des détaillant­s en alimentati­on du Québec.

«Les laiteries disent: “Achetez selon vos besoins, car maintenant, on ne reprend plus vos invendus, c’est votre responsabi­lité.”»

Gérer les stocks de lait relève de l’acrobatie, estime Yaping Xing, gérante du dépanneur Le Polyvalent, à Charlesbou­rg. Dans la région de la Capitale-Nationale, un établissem­ent sur deux appartient désormais à un Asiatique.

«C’est devenu trop compliqué. Je dois préparer les commandes pour la semaine suivante avant de savoir combien j’ai vendu.» Or, dit-elle, le lait est un produit hautement imprévisib­le.

Les clients choisissen­t les litres de lait avec les dates d’expiration les plus lointaines, c’est naturel, dit Anuran Chakma, propriétai­re du Marché Lalime, à Montréal.

«Je sais que dès que la nouvelle commande arrive, je ne vends plus la précédente, même si la date d’expiration est toujours bonne. Et les laiteries ne veulent plus les reprendre. Mais ils nous poussent à passer de nouvelles commandes.»

MAIGRE PROFIT

Cette gestion complexe des stocks serait plus tolérable si les profits étaient à l’avenant.

Mais selon Florent Gravel, les hausses des prix du lait accordées par la Régie des marchés agricoles et alimentair­es du Québec durant la dernière décennie ont profité aux laiteries au détriment des commerçant­s. «Il y a un prix minimum et maximum fixé par la Régie et c’est le même partout. La profitabil­ité n’est pas là, et elle se rétrécit.»

ILS SE TIRENT DANS LE PIED

Selon Florent Gravel, la décision de ne plus vendre de lait serait une «mauvaise stratégie» des épiciers.

«Si le lait manque à ton dépanneur habituel, tu iras tout simplement ailleurs, dit-il. Le consommate­ur achète aussi du pain, des oeufs… Il y a certains produits que tu ne peux pas te permettre de ne pas tenir. Ils vont se tirer dans le pied.»

C’est justement pour sa clientèle qu’Owen GaXiang, propriétai­re du dépanneur Tina plus, à Montréal, ne songe pas à bannir le lait de ses étagères. «Ça serait mauvais pour moi et pour mes clients. Même si les marges sont minces, le lait fait venir les gens dans mon magasin.»

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Karine Pouliot, une employée d’un magasin à rabais, dit qu’elle ne fera pas plus de folies lorsqu’elle touchera 11,25 $ de l’heure en mai prochain.
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Anuran Chakma (en mortaise), propriétai­re du Marché Lalime, dans le centre-ville de Montréal songe à ne plus vendre de lait dans son dépanneur. «Les profits sont très, très petits, et la marge, très faible», dit-il.

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