Des hausses « dérisoires »
Travailleurs dénoncent les augmentations de 0,25 $ ou 0,50 $ l’heure selon l’emploi
QUÉBEC | Les travailleurs à pourboire et ceux payés au salaire minimum qualifient de «dérisoires» les hausses de salaire annoncées hier et estiment qu’en fin de compte, ces quelques sous de plus n’auront pas un grand impact sur leur capacité financière.
Le salaire minimum passera de 10,75 $ à 11,25 $ l’heure à compter du 1er mai, a confirmé hier matin la ministre du Travail, Dominique Vien. Le salaire des employés à pourboire, quant à lui, ne fera un bond que de 25 cents. Il passera de 9,20 $ à 9,45 $ de l’heure.
«C’est dérisoire, 25 cents. On s’en balance», lance Julie Blouin-Maurice, serveuse au restaurant Montego. Selon elle, le salaire horaire est tellement minime, que les serveurs s’attardent surtout au montant des pourboires qu’ils gagnent. «Les serveurs peuvent faire minimum 800 $ de pourboire par semaine et gagneront 400 $, en moyenne et aux deux semaines, en salaire horaire», fait-elle valoir.
SUPRESSIONS DE POSTES
Pour Frédérique Lamontagne, également salariée à pourboire au St-Hubert de Lévis, c’est sur les effectifs que la hausse risque de se faire sentir. «Les restaurateurs ne pourront pas augmenter les prix par assiette. Ils vont couper dans le personnel», croit-elle.
La ministre du Travail a expliqué que c’est par «équité» que son gouvernement a ramené à 20 % l’écart entre le taux général du salaire minimum et celui des salariés à pourboire, comme c’était le cas dans les années 70, 80 et 90. «C’est une demande qui nous est faite par l’Association des restaurateurs du Québec de revenir à cet écart [...] ce à quoi nous avons dit oui, tout simplement», a résumé la ministre Vien.
«Les serveurs à pourboire gagnent deux à trois fois le salaire minimum, alors… […] Il y a une espèce de situation qu’on retrouve chez les restaurateurs qu’on ne retrouve pas nulle part ailleurs dans les autres commerces», a-telle ajouté.
MÊME RYTHME DE VIE
Payée un peu plus cher que le salaire minimum chez Escomptes Fortin-Michaud, Karine Pouliot ne compte pas changer son rythme de vie lorsqu’elle touchera 11,25 $ de l’heure. «C’est environ 40 $ de plus par mois. Ce n’est pas ce qui va nous enrichir plus», lance-t-elle.
Des entrepreneurs anticipent négativement cette hausse à venir. «Ça va accélérer l’inflation. Ça ne va pas nécessairement mettre plus d’argent dans les poches du travailleur», croit Éric Millier, propriétaire des restaurants L’oeil du dragon. Restaurateurs et petits commerçants seront durement touchés, selon lui.
Le propriétaire de l’agence d’événements People, Patrick Lavoie, prévoit une diminution de ses marges de profit.
Les dépanneurs chinois vont-ils cesser de vendre du lait dans leurs établissements, comme le menace leur association? Le millier de membres de l’Association des dépanneurs chinois du Québec seraient en effet excédés des faibles marges de profit et surtout, de la décision de grandes laiteries de ne plus reprendre les litres invendus.
Depuis mai, les grandes laiteries ont en effet changé leurs règles, prétextant que certains détaillants faisaient mal leurs inventaires, explique Florent Gravel, président-directeur général de l’Association des détaillants en alimentation du Québec.
«Les laiteries disent: “Achetez selon vos besoins, car maintenant, on ne reprend plus vos invendus, c’est votre responsabilité.”»
Gérer les stocks de lait relève de l’acrobatie, estime Yaping Xing, gérante du dépanneur Le Polyvalent, à Charlesbourg. Dans la région de la Capitale-Nationale, un établissement sur deux appartient désormais à un Asiatique.
«C’est devenu trop compliqué. Je dois préparer les commandes pour la semaine suivante avant de savoir combien j’ai vendu.» Or, dit-elle, le lait est un produit hautement imprévisible.
Les clients choisissent les litres de lait avec les dates d’expiration les plus lointaines, c’est naturel, dit Anuran Chakma, propriétaire du Marché Lalime, à Montréal.
«Je sais que dès que la nouvelle commande arrive, je ne vends plus la précédente, même si la date d’expiration est toujours bonne. Et les laiteries ne veulent plus les reprendre. Mais ils nous poussent à passer de nouvelles commandes.»
MAIGRE PROFIT
Cette gestion complexe des stocks serait plus tolérable si les profits étaient à l’avenant.
Mais selon Florent Gravel, les hausses des prix du lait accordées par la Régie des marchés agricoles et alimentaires du Québec durant la dernière décennie ont profité aux laiteries au détriment des commerçants. «Il y a un prix minimum et maximum fixé par la Régie et c’est le même partout. La profitabilité n’est pas là, et elle se rétrécit.»
ILS SE TIRENT DANS LE PIED
Selon Florent Gravel, la décision de ne plus vendre de lait serait une «mauvaise stratégie» des épiciers.
«Si le lait manque à ton dépanneur habituel, tu iras tout simplement ailleurs, dit-il. Le consommateur achète aussi du pain, des oeufs… Il y a certains produits que tu ne peux pas te permettre de ne pas tenir. Ils vont se tirer dans le pied.»
C’est justement pour sa clientèle qu’Owen GaXiang, propriétaire du dépanneur Tina plus, à Montréal, ne songe pas à bannir le lait de ses étagères. «Ça serait mauvais pour moi et pour mes clients. Même si les marges sont minces, le lait fait venir les gens dans mon magasin.»