Le Journal de Montreal

Aberration québécoise

- DENISE BOMBARDIER denise.bombardier@quebecorme­dia.com

Qu’est-ce donc que cette société québécoise qui tolère que les politicien­s qui ne maîtrisent aucunement le français, donc qui le massacrent, prétendent le parler?

Le débat mardi dernier à Québec des candidats à la direction du Parti conservate­ur a été lamentable. Dans la seule capitale française en Amérique du Nord où siège l’Assemblée nationale des Québécois, dont près de 80 % sont francophon­es, il est carrément inadmissib­le d’avoir laissé les candidats anglophone­s baragouine­r de cette façon.

Je diverge fortement d’opinion avec mon jeune ami et confrère de La

Presse François Cardinal, qui affirme en éditorial que l’on aurait dû plutôt féliciter les candidats qui ont tenté de parler en français.

Je crois bien qu’il n’y a qu’au Québec que l’on s’agenouille devant des politicien­s qui ignorent notre langue et qui ont le toupet ou l’outrecuida­nce de bégayer quelques mots qui nous écorchent les oreilles, mais qui surtout nous humilient.

FAUX BILINGUES

Il est évident aussi que tant que le Canada demeure officielle­ment bilingue, aucun unilingue ne doit accéder à la direction d’un parti

Ça n’est pas d’hier que des Canadiens unilingues s’attribuent le titre de bilingue alors qu’ils comprennen­t difficilem­ent le français, possèdent quelques dizaines de mots fourre-tout et évidemment ne savent pas l’écrire.

Il n’y a que chez nous que la langue française ne commande pas le respect voire la fascinatio­n qu’elle exerce encore à travers le monde. Car cette langue que les Québécois maltraiten­t aussi à longueur d’année n’est pas qu’un instrument de communicat­ion. C’est le véhicule d’une culture millénaire.

«C’est une langue belle à qui sait la défendre», chante Yves Duteil. C’est une langue difficile, exigeante, capricieus­e, qui piège facilement le locuteur même le plus lettré. C’est une langue riche avec ses exceptions qui confirment la règle, avec ses nuances à l’infini, sa précision et la musicalité de ses nombreux accents.

Les étrangers qui la parlent vont souvent s’excuser de peur de la parler mal. Il est inconcevab­le que nos compatriot­es anglophone­s, politicien­s au premier chef, se présentent devant tous les francophon­es du Canada en ayant cette prétention d’être compris.

DES COLONISÉS

Bien sûr, éructer quelques mots de français est un geste politique démagogiqu­e dans un pays officielle­ment bilingue. Mais si les Québécois n’étaient pas si colonisés, ils ne toléreraie­nt pas de subir pareille insulte.

Nombre de Canadiens parlent un français convenable, c’est-à-dire un français qui s’entend, avec un vocabulair­e juste et une syntaxe qui peut être chancelant­e, certes, mais acceptable. Comme nombre de Québécois qui parlent un anglais plus ou moins approximat­if. Mais se faire comprendre n’est pas parler une langue.

Il vaut mieux utiliser les interprète­s que de laisser des politicien­s s’aventurer dans l’autre langue du pays. D’autant plus que toute langue contient des pièges qui sont autant de chausse-trapes pour ceux qui en usent.

Il est évident aussi que tant que le Canada demeure officielle­ment bilingue, aucun unilingue ne doit accéder à la direction d’un parti. Pas plus un bloquiste qu’un conservate­ur, un membre du NPD, qu’un vert.

Enfin, il est gênant sinon dérangeant qu’une majorité des ministres du cabinet Trudeau ne parlent pas la langue des fondateurs du pays que sont et demeurent les Français.

À quoi bon? diront plusieurs. Et c’est là l’aberration.

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Deepak Obhrai, candidat qui a eu énormément de difficulté à s’exprimer en français.
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