Le Journal de Montreal

Une voix nécessaire

-

Yvan Lamonde, ce témoin important du Québec «des années 1950 à nos jours», est un intellectu­el québécois dont on aimerait entendre plus souvent la parole. Ne serait-ce que pour redorer le blason de la pensée intellectu­elle, trop souvent vilipendée et aussi trop souvent ternie par des interventi­ons douteuses et perfides à la Charles Taylor, ce chantre de l’indétermin­ation.

Depuis la défaite de 1760, l’ennemi anglais – n’ayons pas peur de le nommer, quoi qu’en disent ceux qui fêtent le 150e anniversai­re du Canada – a tout fait pour nous assimiler et nous priver des principaux leviers de notre nécessaire émancipati­on, à commencer par nous acculturer et nous diviser. Comme l’affirme Lamonde, le colonialis­me subtil de l’empire britanniqu­e «fut surtout un anesthésia­nt efficace qui instilla la division chez les colonisés». Ainsi est née la séparation entre les intellectu­els et la population, alimentée par le clergé qui était chargé, jusque dans les années cinquante, d’écrire, éditer et imprimer nos manuels d’histoire, mêlant joyeusemen­t l’histoire du catholicis­me et l’histoire du Québec.

Le pouvoir colonial réussit à diviser les patriotes entre eux, une division qui perdure encore aujourd’hui. «Des rébellions à la Deuxième Guerre mondiale, [le citoyen] voit l’Église appuyer le pouvoir britanniqu­e en place et encourager l’appui à la guerre coloniale.»

Lamonde démonte le mythe selon lequel l’Église catholique a été garante de notre système d’instructio­n jusqu’au début des années 1960. En fait, l’Église «a disputé à la bourgeoisi­e libérale [canadienne-française] la responsabi­lité du système scolaire» pour mieux garantir la reproducti­on de ses propres valeurs. Cette Église loyaliste et collaborat­ionniste condamna les Rébellions, appuya l’Acte d’union de 1840 et la Confédérat­ion de 1867, s’opposa au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, affaibliss­ant ainsi par ses prises de position le nationalis­me émancipato­ire au profit d’un nationalis­me culturel de conservati­on.

C’est cette division, dit l’auteur, qui crée cette bicéphalie dont nous souffrons, «celle des deux hémisphère­s du cerveau politique des Québécois». Et j’ajouterais cette schizophré­nie maladive qui fait de nous des êtres non pas bicéphales, mais multicépha­les: québécois-français-canadiens-américains. Cette division a ses effets pervers. Avezvous déjà entendu un Français se plaindre de son immense fatigue politique ou culturelle? Jamais. Même dans les pires moments de son histoire, le citoyen français combat et rebondit, entre autres par la parole. Par contre, le Québec, lui, est miné depuis quelques siècles par «la pauvreté, la fatigue culturelle, la défaite, le double, l’ambivalenc­e, la pensée impuissant­e, la fatigue politique, l’inachèveme­nt et toujours la fatigue». À tel point que l’humoriste Dominique Lévesque en avait fait un personnage populaire, le gars toujours fatigué.

L’écrivain Hubert Aquin, lui aussi, stigmatise­ra, dès 1962, dans une réponse à Pierre Elliott Trudeau, «la fatigue culturelle du Canada français». «C’est la répétition des combats nationalis­tes qui fatigue, car ceux-ci sont perçus comme des crises d’adolescenc­e dont on devrait sortir tôt ou tard, à chaque génération», affirme Lamonde. Ça ne vous rappelle pas le discours qu’on tient encore aujourd’hui lorsque nous revendiquo­ns un pays pour le Québec? Pour Aquin, nous sommes marqués du sceau presque indélébile de «la défaite et de la passivité du vaincu». Après 1760, après 1837-1838, après 1980, après 1995, comment peut-il en être autrement? «La victoire seule noue. La défaite non seulement divise l’homme d’avec les hommes, mais elle le divise avec luimême», affirmait Pierre Vadeboncoe­ur, paraphrasa­nt Antoine de Saint-Exupéry.

Lamonde passe ainsi en revue l’histoire de nos défaites multiples et de notre ambivalenc­e chronique à travers le regard d’écrivains, d’historiens et d’intellectu­els. On sort de ce court ouvrage un peu mieux armé contre la fatigue.

Un coin dans la mémoire – L’hiver de notre mécontente­ment Yvan Lamonde Éditions Leméac

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada