Notre cinéma est sous perfusion depuis 50 ans
Il n’y a pas eu de feux d’artifice et personne n’a paradé dans les rues. Aucune personnalité n’a fait de déclarations triomphales. Ni le premier ministre Justin Trudeau ni les premiers ministres des provinces. Pourtant, le vendredi 3 mars, Téléfilm Canada a fêté son 50e anniversaire. C’est un organisme dans lequel nous avons investi jusqu’ici l’équivalent de trois stades olympiques.
Pour ses 50 ans, Téléfilm même a été modeste, se contentant de deux messages vidéo de 30 secondes sur YouTube, l’un en français, l’autre en anglais. Durant ce demi-siècle, Téléfilm a financé 2247 longs métrages et 3600 émissions et séries de télévision. Téléfilm continue d’injecter environ 95 millions par année dans notre cinéma. Depuis 2006, c’est le Fonds des médias du Canada (anciennement le Fonds de télévision) qui investit en télévision.
LES ILLUSIONS DE DÉPART
Si on n’a pas fait plus d’éclat pour cet anniversaire, c’est peut-être parce qu’on n’a pas récupéré plus de 300 millions des 3,3 milliards investis. Lors de la création de la SDICC (devenue Téléfilm), Michael Spencer, son premier directeur général, et Gérard Pelletier, alors secrétaire d’État, avaient parlé d’un organisme de transition, car à moyen terme, prétendaient-ils, notre cinéma deviendrait rentable. C’était prendre ses rêves pour des réalités. Depuis, on a perdu plus de 90% des 3,3milliards$ qu'on y a engloutis.
Plus personne ne se fait d’illusions. Notre cinéma ne sera jamais rentable. Au box-office, c’est presque le désastre. Malgré tous les efforts de promotion, les films canadiensanglais comptent à peine pour 2 à 3% des recettes au guichet et, l’an dernier, les films québécois n’ont rapporté que 5,1%. Les bonnes années, c’est presque le double.
Au début du siècle dernier, quand Léo-Ernest Ouimet a fondé le Ouimetoscope, il n’a rien demandé à l’État. Il voulait faire une piastre. En 1913, quand on a ouvert l’Impérial, rue Bleury, c’était aussi pour faire une piastre. Les beaux jours n’ont pas duré. Monseigneur Albert Tessier et l’abbé Proulx n’ont pas tardé à inventer le cinéma social. Non rentable, il va sans dire.
UN OUTIL DE PROPAGANDE
En bons curés, ils n’ont pas utilisé le cinéma pour divertir, mais pour convertir. Lors de la Deuxième Guerre mondiale, Ottawa a créé l’Office national du Film pour faire aussi du cinéma un outil de propagande. Né en pleine équivoque, notre cinéma vit encore dans l’ambiguïté.
Depuis la création de la Société de développement de l’industrie cinématographique, on a presque toujours parlé d’argent. Il aurait fallu parler de culture, juste de culture. Téléfilm n’est pas une agence d’investissement, mais une agence culturelle. C’est à ce titre seulement qu’on peut justifier son existence.
Notre cinéma est sous perfusion depuis un demi-siècle et il le sera encore dans cinquante ans. C’est à nous de décider si les films que nous finançons contribuent de façon significative à notre identité et si la notoriété qu’ils rapportent vaut les millions qu’on investit.
Si le «Salut Montréal» de Sylvain Bellemare à la soirée des Oscars vaut 6,2millions$ en publicité, comme l’a évalué Caroline Roy, vice-présidente de Mesure Média, nos films doivent bien valoir les 95 millions d’argent public qu’on y investit chaque année!
TÉLÉPENSÉE DU JOUR
À méditer en ce lendemain de la Journée des femmes: seulement 7 % des 708 films produits par Hollywood en 2015 ont été réalisés par des femmes!