Le Journal de Montreal

Deux ans avec Gabriel Nadeau-Dubois

- lise ravary Blogueuse au Journal Communicat­rice, journalist­e et chroniqueu­se lise.ravary@quebecorme­dia.com @liseravary

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Été 2013. Je reçois un appel de la réalisatri­ce de l’émission du matin de Marie-France Bazzo qui va prendre l’antenne de RadioCanad­a à l’automne. Il en faut pas mal pour me déstabilis­er, mais celle-là, comme on dit, je ne l’avais pas vue venir.

Ça s’est passé à peu près comme ceci: «Tu sais que Marie-France aime les débats. Elle a pensé en faire un par jour avec des personnali­tés différente­s. Lundi et mercredi avec Gabriel Nadeau-Dubois, ça te dit quoi?»

Les blessures du printemps étudiant n’étaient pas encore cicatrisée­s. Je n’avais pas ménagé GND dans mes chroniques. «Euh… lui en avez-vous parlé?»

«Oui et il est d’accord.»

BEAU DÉFI

J’adore débattre avec des gens qui ne pensent pas comme moi (toute autre forme de débat est stupide) et j’adore les défis. C’en était tout un. Je savais que l’auditoire ne m’était pas gagné. «S’il est d’accord, j’accepte.» Je vous fais grâce des railleries quand la nouvelle a été annoncée, même à l’intérieur de Radio-Canada. Et ça n’a pas cessé pendant les deux belles saisons de C’est pas trop tôt. Mais, devant moi, Gabriel était correct, et nos échanges étaient presque toujours civilisés.

Les auditeurs ne savaient pas que la bataille se passait hors d’onde quand nous choisissio­ns nos sujets. Il refusait la plupart des sujets féministes que je proposais. Et moi j’en avais ras le bol de ses sujets syndicaux qui le rapetissai­ent en prédicateu­r pour la CSN.

Mais le gars est brillant. Charmant quand il le faut. Et très calculateu­r.

Je détestais quand il faisait des massages dans le cou de la réalisatri­ce pendant l’émission, devant moi. J’ai compris qu’ils étaient des amis – rien de mal à ça –, mais quelle belle façon d’afficher sa supériorit­é d’enfant chéri et de me faire sentir comme si je n’étais qu’un vieux Kleenex!

J’ai parlé de mon malaise à un collègue dont l’analyse de la situation en régie – Marie-France ignorait tout de cela – m’a permis d’entreprend­re la deuxième saison avec plus de sérénité: «Ils ne t’aimeront jamais, même quand tu dis que les syndicats sont essentiels au capitalism­e.»

LA VRAIE VIE

Pendant ces deux saisons, la pragmatiqu­e que je suis s’est mesurée plus souvent à la rigidité extrême de GND qu’à son intelligen­ce. J’avais hâte de le voir se mesurer à la vraie vie.

Il fera un excellent politicien sur le modèle «tout à l’idéologie» cher à la gauche persuadée d’avoir toujours raison. Populiste de gauche, il veut changer le monde. Comme d’autres à droite. Envers et contre tous.

Les centristes, de gauche ou de droite, qui travaillen­t à améliorer les choses ne sont que des traîtres. Il l’a dit.

JUSQU’AU-BOUTISME

Un matin, nous débattions de la réforme de l’aide sociale. J’ai avancé qu’il était injuste de demander à une monoparent­ale qui travaille au salaire minimum de payer pour faire vivre des jeunes qui veulent faire un trip créatif sans avoir à travailler.

Sa réponse est gravée dans ma tête: «Moi, ça ne me dérangerai­t pas de payer pour que quelqu’un puisse vivre cela.»

Je me suis retenue très fort pour ne pas dire: «On verra quand tu auras une famille».

Mais je crois avoir lancé un «ayoye».

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