Ne cherchons pas de complot à Radio-Canada
N’en déplaise à mon collègue chroniqueur Mathieu Bock-Côté et à ceux qui le pensent aussi, RadioCanada n’est pas le suppôt du gouvernement fédéral. Un nid de crabes, peut-être… Une société où chacun défend son petit territoire avec férocité, sans doute… Une maison où il y a plus de chefs que d’Indiens, sûrement. Mais un diffuseur à qui Ottawa impose une ligne éditoriale «fédéraliste, multiculturaliste et de gauche», pas du tout!
Comme la BBC, qui est son modèle, notre diffuseur public considère qu’il constitue la véritable «opposition». Quant au gouvernement au pouvoir, il considère qu’ayant déjà une opposition au Parlement, il n’a pas besoin d’en avoir une deuxième.
Il suffit pour s’en convaincre de se rappeler le nombre de fois que Pierre Elliott Trudeau a menacé Radio-Canada de mettre la clé sous la porte. De son côté, si Brian Mulroney avait pu, Radio-Canada serait tombé sous le pic des démolisseurs. Et ce n’est pas Jean Chrétien qui l’aurait reconstruit, lui qui voyait le diffuseur comme un épouvantable nid de «séparatiss». Faut-il rappeler aussi que Stephen Harper a affamé Radio-Canada? Si le NPD a toujours été assez sympathique à l’égard de Radio-Canada, c’est qu’il n’a jamais été au pouvoir.
FÉDÉRALISTES ET SOUVERAINISTES
Tous les fédéralistes que je fréquente se plaignent que la SRC soit si centrée sur le Québec, qu’elle s’intéresse si peu au reste du pays et soit le refuge de tant d’indépendantistes. Derrière comme devant les caméras. Quant aux souverainistes que je connais, ils voient le diffuseur public comme le partisan inconditionnel du fédéralisme, le sombre assassin de l’identité québécoise et l’aveugle promoteur du multiculturalisme.
Pour rassurer un tant soit peu les amateurs de complots, voici comment fonctionne Radio-Canada.
Le gouverneur en conseil (c’est-à-dire le gouvernement) nomme le président du conseil ainsi que le PDG. L’un et l’autre sont inamovibles et ne peuvent être démis de leurs fonctions. De ce fait, le PDG n’a cure de ce que peuvent penser le président du conseil et les dix autres administrateurs, nommés eux aussi par le gouvernement. Actuellement, il manque trois administrateurs, mais ça n’a aucune importance.
Le PDG écoute poliment le ministre responsable (actuellement, c’est Mélanie Joly) et son conseil d’administration, mais il n’en fait pas moins à sa tête. Tous les ministres responsables de Radio-Canada se sont arraché les cheveux devant leur impuissance face à Radio-Canada.
LE RÈGNE DES ROITELETS
Le PDG et ses deux vice-présidents principaux (l’un pour le réseau anglais, l’autre pour le français) détiennent le pouvoir sur presque tout, sauf sur… le contenu! Le contenu, c’est l’affaire d’autres chefs. Ceux de l’information, des affaires publiques, des dramatiques, des variétés et ainsi de suite. Ces roitelets défendent leur territoire bec et ongles contre toute intrusion, qu’elle vienne de haut ou d’ailleurs.
Si cette diffusion du pouvoir rend impossible toute réorientation importante du diffuseur à moins d’un changement majeur de mandat, elle a le mérite de rendre Radio-Canada imperméable à toute ingérence politique. Même en lui coupant les vivres, aucun gouvernement n’a encore réussi à mettre la bête à sa main. Bien au contraire. Plus on affame la bête, plus elle rue dans les brancards et plus elle gagne en sympathie.
Que les amateurs de la théorie du complot dorment en paix, ce n’est pas demain la veille qu’on va tenir la bride haute à Radio-Canada.
TÉLÉPENSÉE DU JOUR
«Ah! comme la neige a neigé!» – Émile Nelligan.