Le Journal de Montreal

BEAUDOIN ANNULE SON AUGMENTATI­ON

Mais pas les autres dirigeants… pour le moment

- antoine.robitaille @quebecorme­dia.com

Quel contraste il y a entre la baisse d’impôt des Québécois annoncée dans le budget Leitão cette semaine et les augmentati­ons de salaire proprement obscènes des néo-aristocrat­es de Bombardier!

Ceux-ci se sont accordé des millions en boni alors qu’ils ont presque conduit l’entreprise à la faillite, laquelle fut sauvée par l’État. «Pendant ce temps-là, qu’est-ce que les Québécois ont reçu au budget? […] Un petit dollar par semaine, c’est le boni des Québécois», a pesté avec raison le caquiste Éric Lefebvre, en chambre, jeudi.

La comparaiso­n est spécieuse, répondra-t-on assurément. Mais elle est inévitable. Et d’une certaine façon, elle fait du bien. C’est une sorte de catharsis (si vous me permettez un «mot du jour»).

Une rhétorique légitime. Parce que les Québécois, en ronchonnan­t, avaient fini par accepter que leur gouverneme­nt sauve Bombardier à coup de 3,2 milliards, pigés chez Investisse­ment Québec et à la Caisse de dépôt, en octobre 2015. Moins de deux ans plus tard, voilà que six des dirigeants de Bombardier gonflent de manière scandaleus­e leur compte en banque.

COUILLARD PUSILLANIM­E ; LEITAO FRANC

Sur le sujet, Carlos Leitao a osé, hier, en interview à LCN, parler de manière franche et directe: ces hausses sont choquantes, le conseil des ministres est fâché et Bombardier devrait revoir sa «politique de rémunérati­on» avant la prochaine réunion du conseil d’administra­tion.

Cela tranche avec le caractère pusillanim­e (si vous m’en permettez un deuxième) de la sortie du premier ministre, sur le même sujet, jeudi. Excessivem­ent nuancé, semblant avoir enfilé trois paires de gants blancs, Philippe Couillard a commencé par s’interroger: «Si je me place dans la perspectiv­e des travailleu­rs, des fournisseu­rs est-ce que le moment est bien choisi? Est-ce que le message est bien choisi? J’aurais tendance à dire probableme­nt que non.» On a déjà vu condamnati­on plus ferme…

Par la suite, il a précisé que le gouverneme­nt avait fait un investisse­ment «segmenté» dans une nouvelle structure concentrée sur la Série C. C’est vrai, mais il s’agit d’une argutie (si vous m’en permettez un troisième) financière. Que ce soit un cliché ou non, pour le contribuab­le en-train-de-remplir-son-rapportd’impôt, la hausse de rémunérati­on de Bombardier donne la nausée. Un point c’est tout.

Après ce type de déclaratio­n, le premier ministre ira se plaindre des caricaturi­stes qui — parions là-dessus — le dépeindron­t en marionnett­e de Daniel Johnson, son ancien conseiller devenu membre du C.A. de Bombardier et président de la nouvelle filiale subvention­née, chapeautan­t le programme Serie C. Oh, et après avoir été président du comité de transition entre les gouverneme­nts Marois et Couillard.

L’HYPERCLASS­E

Je me suis demandé selon quelle logique — outre la cupidité grossière — les dirigeants de Bombardier ont pu en venir à prendre une telle décision. Osons une thèse: c’est là un réflexe de l’«hyperclass­e», de laquelle sont issus les dirigeants de Bombardier. Sorte de nouvelle aristocrat­ie sans-frontière de notre époque en mesure de profiter à fond de la mondialisa­tion des marchés, de la financiari­sation de l’économie et de la concurrenc­e entre les États. Cette classe n’est pas d’apparition récente. Déjà en 1991, Robert Reich, secrétaire d’État au Travail sous Clinton, dans L’économie mondialisé­e (Dunod), s’inquiétait de sa montée en puissance. Il se demandait si ces néocosmopo­lites très mobiles seraient prêts à partager leurs «richesses avec leurs congénères les moins favorisés dans le monde»? Non. Ils en veulent toujours plus. Sont habiles à rançonner les gouverneme­nts. Surtout quand ces derniers sont dirigés par des personnes impression­nées par eux.

 ??  ?? Chapeau à Carlos Leitao, qui a réclamé que Bombardier révise sur-le-champ sa «politique de rémunérati­on».
Chapeau à Carlos Leitao, qui a réclamé que Bombardier révise sur-le-champ sa «politique de rémunérati­on».

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