Un incroyable exemple de persévérance
Après sept rechutes de cancer, il veut s’attaquer à un défi hors norme pour amasser des fonds
La mort est passée six ou sept fois à côté de Sylvain Poissant. Après 10 ans à vivre avec le cancer de la peau, le colosse de 38 ans a vécu 7 rechutes, s’est fait opérer à coeur ouvert et au cerveau en plus de subir des traitements expérimentaux aux États-Unis qui ont bien failli le tuer.
En ce matin gris de novembre, Sylvain est assis dans la salle d’attente du Centre du cancer Segal de l’Hôpital général juif de Montréal. Il attend les résultats de ses derniers examens par scan. «Si le cancer a progressé, on devra arrêter les traitements», explique-t-il. Autrement dit, ça peut vouloir dire la mort.
Mais Sylvain Poissant balance cette phrase comme s’il expliquait ce qu’il avait mangé pour déjeuner. Au cours de la dernière décennie, il en a reçu des mauvaises nouvelles et il a souvent déjoué les pronostics.
Le Montréalais a eu le temps d’apprendre le sens du mot persévérance. À l’automne 2017, il compte même réaliser une expédition de 21 jours au mont Everest afin de recueillir des fonds pour la Société canadienne du cancer.
L’homme projette une image de force hors du commun qui suscite l’admiration, mais qui intrigue aussi : peut-on vraiment s’habituer à avoir une vie qui ne tient qu’à un fil pendant si longtemps?
En février 2006, Sylvain était un gars de 27 ans très actif. Le kinésiologue de formation était animateur à la vie étudiante dans une école secondaire où il entraînait des équipes de badminton, de basketball et de hockey cosom. Sportif, il jouait au hockey, faisait du ski et de la course à pied. C’était aussi un bon vivant qui sortait dans les bars avec ses amis.
«Sylvain était toujours très occupé, évoque sa grande soeur Pascale Poissant. Il courait à droite à gauche pour ses tournois et avait des amis un peu partout, c’était difficile de l’accrocher.»
UN COMBATTANT
Tout allait bien si ce n’était de ce grain de beauté sur son épaule droite près du cou qui a grossi en plus de changer de couleur. Une consultation avec le dermatologue lui apprend qu’il est atteint d’un mélanome assez profond de stade 3, donc plutôt avancé.
«Je n’ai pas tout compris, mais j’ai compris que j’étais dans la merde», se rappelle-t-il. Pendant sept ans, il avait travaillé comme sauveteur sans mettre de la crème solaire. «Est-ce que c’est de ma faute ?» s’est-il demandé.
Dès ce premier diagnostic, le jeune homme était déterminé à combattre la maladie. «Je voyais ça à court terme. Je me disais que, si je faisais ce que j’avais à faire, mon corps prendrait le dessus», explique-t-il.
Mais à l’automne de la même année, après une chirurgie et des traitements d’immunothérapie, les effets espérés n’étaient pas au rendez-vous. Non seulement le cancer avait gagné du terrain, mais son médecin lui a annoncé qu’il n’existait aucun traitement approuvé au Canada.
Le docteur n’a pas voulu se prononcer sur le temps qu’il restait à son patient. Internet s’en est chargé: six mois. «Je me disais: je cours, je suis en forme, je ne peux pas mourir dans six mois», dit-il.
Sylvain s’est alors acharné à trouver des traitements expérimentaux sur internet. Il en a découvert un, au National Institute of Health (NIH) de Washington DC, et sa candidature a été retenue.
Avec ses parents, sa soeur et son frère, il a parcouru plusieurs fois les quelque 1000 km qui séparent Ville LaSalle de la capitale américaine. Personne ne savait si les traitements encore à l’essai allaient fonctionner.
«Les médecins nous avaient dit que s’il survivait cinq ans, ce serait un miracle»,
se souvient sa soeur. Lorsque Sylvain lui laissait un message sur sa boîte vocale, Pascale n’osait pas l’effacer. «Je me disais que c’était peut-être la dernière fois que j’entendais sa voix», explique-t-elle, la voix traversée par l’émotion.
Le premier type de traitement était particulièrement intense pour le corps et n’a pas réussi à ralentir la progression de la maladie. Un autre protocole a été expérimenté, en mai 2007, qui consistait à supprimer son système immunitaire pour en implanter un nouveau qui aurait la capacité d’enrayer le cancer. Sylvain avait 25 % de risque de mourir.
«C’était tellement dur. Une nuit, j’ai regardé vers le ciel et j’ai dit: fous-moi la paix ou viens me chercher. Le lendemain j’étais vivant, alors j’ai continué.»
La vie du jeune homme était entre parenthèses et toute sa famille concentrait ses énergies sur sa guérison.
«On avait acheté le livre du Dr Richard Béliveau Les aliments contre le cancer. Mais bon, après un temps, ça va faire la lasagne au curcuma. Ce n’est pas bon», dit Sylvain en riant.
accepter la malaDie
Il a repris progressivement des forces et a rencontré une fille dont il est tombé amoureux. Mais pas question de lui faire voir l’homme souffrant. Il y aura désormais deux Sylvain. Le Sylvain malade et le Sylvain normal.
«Quand j’étais avec elle, c’étaient mes petits moments de bonheur», explique-t-il. Il y avait le Sylvain malade qui passait son temps à vomir à Washington. Et le Sylvain normal qui sortait et faisait la fête, à Montréal.
Jusqu’en 2008, Sylvain a combattu son cancer. «Tu veux te débarrasser de la maladie et retourner à ta vie normale. Mais tu ne peux pas te battre plus de deux ans», ditil. Un moment, il a fallu que j’accepte que ça fasse partie de ma vie. Ça ne peut pas être un combat, sinon ceux qui meurent sont des perdants? Non.»
Accepter. Plus facile à dire qu’à faire. Il se demandait continuellement ce que l’autre Sylvain, celui en santé, aurait eu comme vie si le cancer avait décidé de passer son tour ce jour-là. «Je me demandais où serait rendu le gars sans maladie. Est-ce qu’il aurait une
van, un chien, des enfants?»
À l’été 2008, le sportif s’est trouvé un emploi de coordonnateur technique pour Baseball Québec. Quelques mois plus tard, il a toutefois appris que des métastases étaient maintenant logées dans son thorax et qu’il devait être opéré à coeur ouvert. «Là, c’était trop, c’était ma quatrième rechute. Je me suis dit que c’était fini», dit-il.
Il a finalement accepté de se faire opérer. Mais son cancer était têtu et l’année suivante, il est apparu au cerveau.
«À ce moment, je me suis dit que j’avais atteint ma limite», explique-t-il. Son médecin lui a assuré que la tumeur était opérable. «J’ai pris un jour de congé pour y penser et j’ai fini par accepter.»
l¹urgence De vivre
Une semaine après l’opération au cerveau, Sylvain était de retour au travail. «On se sent vivant quand on est impliqué dans la vie. On veut rendre les choses normales», se justifie-t-il. Sylvain reconnaîtra plus tard être retourné trop tôt au travail, cette année-là.
«On est allé glisser en famille pour faire rire mes enfants, Sylvain est descendu en
crazy carpet tête première avec eux, relate Pascale. Ça faisait trois semaines qu’il avait été opéré, il n’était pas arrêtable!»
Les années suivantes ont laissé croire à Sylvain que le pire était maintenant derrière lui, même s’il n’a jamais cru au mot «rémission».
Ses médecins lui avaient pourtant bel et bien assuré que son corps ne présentait plus de trace de maladie.
À 32 ans, il était déterminé à vivre une vie normale. Il s’est investi dans le travail et en 2010, il est devenu coordonnateur à Sports Québec, un emploi qu’il convoitait depuis longtemps.
Il en a aussi profité pour entraîner son neveu au baseball, jouer au hockey, faire des repas entre amis, et surtout voyager. En Espagne, en France, en Californie, en Italie.
Il ressentait une soif de vivre. «Mais en vivant toujours dans l’urgence, je faisais de la peine à certaines personnes», dit-il.
C’était un besoin intense et individuel de profiter pour me faire plaisir, reconnaît Sylvain. Aujourd’hui, je ne veux plus vivre mon urgence de vivre au détriment des autres.»
Et puis tous les trois mois, il devait se rendre aux États-Unis pour un suivi médical, ce qui lui rappelait que le Sylvain malade n’était jamais bien loin.
À l’occasion d’un suivi à Washington, en 2012, Sylvain a demandé à son médecin de transférer son dossier à Montréal.
«Il m’a dit: “tu vas pouvoir aller à Montréal, mais pour reprendre des traitements”», relate Sylvain. Le cancer était revenu dans son cou et son foie aussi maintenant. «Je ne m’attendais vraiment pas à ça, ça faisait trois ans et demi que je ne suivais plus de traitements», soupire Sylvain.
«J’avais l’impression que mes médecins m’abandonnaient. J’avais perdu tout espoir», dit-il.
Il refusait encore d’inclure sa copine dans son univers de gars malade. Le couple a fini par se séparer.
«t’aimes-tu, sylvain?»
À cette époque, Sylvain s’est mis à être angoissé. «Je ne pouvais plus dormir, j’avais peur de mourir», dit-il. Il a consulté une psychologue qui lui a demandé: «t’aimes-tu Sylvain?» La question a été suivie d’un long silence. «J’ai fini par répondre: “j’aurais aimé connaître le gars sans maladie”. Je m’étais donné l’impression que j’acceptais mon cancer, mais en fait, non.»
Il a alors réalisé qu’à travers la maladie, il avait appris à aimer sa famille ainsi qu’à respecter les gens autour de lui. Il a aussi appris la persévérance. Il a réalisé qu’il aimait l’homme qu’il était devenu et qu’il ne pouvait pas y avoir deux Sylvain.
«J’ai compris que Sylvain Poissant n’était pas une maladie et que le cancer n’était pas un défaut», poursuit-il. Il a alors quitté son emploi afin d’utiliser le reste de sa vie pour sensibiliser les gens au cancer de la peau. Il est devenu conférencier pour la Société canadienne du cancer et a organisé plusieurs campagnes de financement pour l’organisme.
L’an dernier, il a rencontré Martine lors d’une de ses conférences. Après quatre mois de fréquentation, il a accepté qu’elle l’accompagne à l’hôpital. «Je lui ai dit que ça faisait partie de sa vie, que c’était aussi une partie de lui», explique Martine Théorêt.
La femme a réalisé ce jour-là que l’homme fort, celui qui pratique plein de sports, celui avec qui elle compte aller au mont Everest l’an prochain, était bel et bien malade.
«Ça m’a tellement touchée, j’ai un peu plus pris conscience de tout ce qu’il avait enduré ces dernières années, il a une telle résilience», dit-elle.
Quand elle le raconte, les larmes lui montent aux yeux si rapidement qu’elle en paraît surprise.
Martine a deux enfants de 7 et 8 ans et a choisi de ne pas aborder la maladie de Sylvain lorsqu’elle leur a présenté son nouvel amoureux.
Mais un jour qu’elle assistait à un match de hockey de son plus jeune, ce dernier est sorti de la patinoire et lui a posé une question qu’elle n’oubliera jamais. «Maman, est-ce que j’ai le droit d’aimer Sylvain?» Martine a répondu oui. Ce à quoi il a ajouté «Mais est-ce qu’il va partir un jour?»
En racontant l’anecdote, Martine retient à nouveau ses larmes.
«Il avait peur que Sylvain parte, mais c’est sûr que moi j’ai pensé à la mort. Je lui ai dit d’apprécier chaque moment qu’on passait avec lui.»
le temPs susPendu
Dans la salle d’attente, ce matin de novembre, Sylvain parle de sa vie depuis bientôt 2 h 30. Il ne s’interrompt que pour saluer d’autres patients qu’il a fini par connaître à force de les côtoyer.
Sylvain est musclé et paraît en forme, si ce n’est un teint un peu blême, car la pigmentation de sa peau a été détruite.
Toutes les deux semaines, il revient à l’hôpital pour des prises de sang et son immunothérapie. Avec l’évolution de la science, on arrive maintenant à faire gagner de plus en plus de temps aux patients. Le médecin de Sylvain lui a expliqué qu’au cours des prochaines années, les gens atteints du cancer devront apprendre à vieillir avec leur maladie, comme le font les diabétiques.
Si les docteurs lui annoncent ce matin que son cancer a progressé, ce sera sa huitième rechute. «Si on arrête les traitements, j’évaluerai mes options», dit-il.
Même s’il adopte une attitude positive, il vit des creux, environ quatre fois par année. «Il y a un moment où je suis tanné d’être malade. Alors pendant trois jours, je regarde des films qui me font du bien, je veux pas trop voir beaucoup de monde et je mange du Saint-Hubert», explique-t-il.
Le médecin appelle finalement Sylvain Poissant. Dans la petite salle de consultation, l’homme en sarrau salue son patient et ouvre son dossier. Le regard de Sylvain devient soudainement très sérieux. Pour la première fois, on sent toute la gravité du moment. Le docteur annonce que les métastases au cou sont stables et que celles au foie ont réduit. Les traitements peuvent continuer.
Le médecin prend congé de Sylvain dont le visage est encore sérieux. Son sourire reviendra quelques minutes plus tard tard en lisant un message texte de Martine, qui s’inquiétait.
Demain, il reviendra à l’hôpital pour recevoir son traitement. Le même soir, il organisera une surprise-party pour les 40 ans de sa blonde. «Je vais être fatigué à cause du traitement, mais j’ai déjà tout organisé d’avance et je vais rester tranquille», dit-il.
Quelques jours plus tard, Martine racontera que ce soir-là, Sylvain a bu et dansé jusqu’à trois heures du matin. Le temps d’un soir, Sylvain malade s’est effacé.