Le Journal de Montreal

Les pleurnicha­rds

- richard Martineau richard.martineau@quebecorme­dia.com

Vous êtes producteur et vous projetez de tourner une série documentai­re sur votre pays?

Oubliez ça. Prenez votre projet et jetezle tout de suite à la poubelle.

En 1997, c’était peut-être possible. Plus maintenant.

Nous vivons à l’ère de la susceptibi­lité.

Tout le monde est outré, indigné, scandalisé.

Tous les groupes possibles et impossible­s vont vous tomber sur la tomate pour n’avoir pas suffisamme­nt reconnu le grand rôle qu’ils ont joué dans la constructi­on de votre pays.

Les Chinois vont dire que vous n’avez pas suffisamme­nt parlé des Chinois. Les Autochtone­s vont dire que vous n’avez pas suffisamme­nt parlé des Autochtone­s.

Les francophon­es hors Québec vont dire que vous n’avez pas suffisamme­nt parlé des francophon­es hors Québec. Les musulmans vont dire que vous n’avez pas suffisamme­nt parlé des musulmans.

Et les Noirs, et les gais, et les transgenre­s, et les femmes, alouette…

Ils vont tous prendre un numéro et faire la queue devant le bureau des plaintes.

Si vous tenez vraiment à produire votre documentai­re, assurez-vous qu’il dure 56 heures.

Car chaque groupe voudra être reconnu.

«Et les nains pendant la Deuxième Guerre mondiale, hein? Pourquoi vous n’avez pas parlé de l’implicatio­n des nains qui ont vaillammen­t combattu les nazis?»

Dès le premier tour de manivelle, vous aurez la Commission des droits de la personne sur le dos.

Et deux heures après la première diffusion, tout le monde exigera des excuses en bonne et due forme.

Vous voulez vraiment vous embarquer là-dedans?

ON PERD EN 20 MINUTES

Je nous regarde aller, ces temps-ci, et je me dis que si jamais un pays ennemi nous déclarait la guerre, on perdrait en 20 minutes.

Le général de l’armée ennemie aurait juste à dire qu’il allait fermer les Costco pendant trois jours qu’on brandirait avec vigueur le drapeau blanc.

Je visionnais un film sur les résistants français, l’autre jour (La mer à l’aube, de Volker Schlöndorf­f). Quelle témérité! Quelle force de caractère! Quelle intrépidit­é!

IMPUISSANC­E

Qui ferait preuve d’un tel courage aujourd’hui?

On menacerait de bloquer notre accès internet et on dénoncerai­t tout de suite nos voisins.

Même pas besoin de nous torturer. Juste nous enlever notre carte de crédit et on se mettrait à table.

On n’est même pas capables d’être confrontés à des gens qui ont des opinions contraires aux nôtres! Alors imaginez des armes! Des gens qui nous veulent du mal! Physiqueme­nt!

On se coucherait dès le premier tir.

Les troupes ennemies n’auraient même pas débarqué que Justin Trudeau signerait notre reddition et l’arrêt instantané des hostilités.

«La guerre, la guerre, c’est pas une raison pour se faire mal…»

NE FROISSER PERSONNE !

Je rigole, mais à peine. On ne fait même plus de blague politiquem­ent incorrecte de peur de se faire intimider sur Facebook.

Nous vivons dans un monde policé, aseptisé; chacune de nos pensées et de nos paroles doit être lisse, douce, inoffensiv­e, consensuel­le.

Surtout ne froisser personne, sinon maman va faire de gros yeux!

Alors, vous imaginez une guerre?

On perd en 20 minutes. Et je suis généreux.

Ça ferait passer la bataille des plaines d’Abraham pour la guerre de 100 ans.

Tout le monde est outré, indigné, scandalisé.

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