Les pleurnichards
Vous êtes producteur et vous projetez de tourner une série documentaire sur votre pays?
Oubliez ça. Prenez votre projet et jetezle tout de suite à la poubelle.
En 1997, c’était peut-être possible. Plus maintenant.
Nous vivons à l’ère de la susceptibilité.
Tout le monde est outré, indigné, scandalisé.
Tous les groupes possibles et impossibles vont vous tomber sur la tomate pour n’avoir pas suffisamment reconnu le grand rôle qu’ils ont joué dans la construction de votre pays.
Les Chinois vont dire que vous n’avez pas suffisamment parlé des Chinois. Les Autochtones vont dire que vous n’avez pas suffisamment parlé des Autochtones.
Les francophones hors Québec vont dire que vous n’avez pas suffisamment parlé des francophones hors Québec. Les musulmans vont dire que vous n’avez pas suffisamment parlé des musulmans.
Et les Noirs, et les gais, et les transgenres, et les femmes, alouette…
Ils vont tous prendre un numéro et faire la queue devant le bureau des plaintes.
Si vous tenez vraiment à produire votre documentaire, assurez-vous qu’il dure 56 heures.
Car chaque groupe voudra être reconnu.
«Et les nains pendant la Deuxième Guerre mondiale, hein? Pourquoi vous n’avez pas parlé de l’implication des nains qui ont vaillamment combattu les nazis?»
Dès le premier tour de manivelle, vous aurez la Commission des droits de la personne sur le dos.
Et deux heures après la première diffusion, tout le monde exigera des excuses en bonne et due forme.
Vous voulez vraiment vous embarquer là-dedans?
ON PERD EN 20 MINUTES
Je nous regarde aller, ces temps-ci, et je me dis que si jamais un pays ennemi nous déclarait la guerre, on perdrait en 20 minutes.
Le général de l’armée ennemie aurait juste à dire qu’il allait fermer les Costco pendant trois jours qu’on brandirait avec vigueur le drapeau blanc.
Je visionnais un film sur les résistants français, l’autre jour (La mer à l’aube, de Volker Schlöndorff). Quelle témérité! Quelle force de caractère! Quelle intrépidité!
IMPUISSANCE
Qui ferait preuve d’un tel courage aujourd’hui?
On menacerait de bloquer notre accès internet et on dénoncerait tout de suite nos voisins.
Même pas besoin de nous torturer. Juste nous enlever notre carte de crédit et on se mettrait à table.
On n’est même pas capables d’être confrontés à des gens qui ont des opinions contraires aux nôtres! Alors imaginez des armes! Des gens qui nous veulent du mal! Physiquement!
On se coucherait dès le premier tir.
Les troupes ennemies n’auraient même pas débarqué que Justin Trudeau signerait notre reddition et l’arrêt instantané des hostilités.
«La guerre, la guerre, c’est pas une raison pour se faire mal…»
NE FROISSER PERSONNE !
Je rigole, mais à peine. On ne fait même plus de blague politiquement incorrecte de peur de se faire intimider sur Facebook.
Nous vivons dans un monde policé, aseptisé; chacune de nos pensées et de nos paroles doit être lisse, douce, inoffensive, consensuelle.
Surtout ne froisser personne, sinon maman va faire de gros yeux!
Alors, vous imaginez une guerre?
On perd en 20 minutes. Et je suis généreux.
Ça ferait passer la bataille des plaines d’Abraham pour la guerre de 100 ans.
Tout le monde est outré, indigné, scandalisé.