L’arrêt Jordan a du bon
Je suis, moi aussi, scandalisée par l’abandon des procédures contre un homme accusé d’avoir poignardé sa femme, une triste histoire de mariage arrangé, en raison de l’arrêt Jordan qui limite à 30 mois le délai d’attente pour la tenue d’un procès au criminel.
Sival Thanabalasingam, qui a déjà plaidé coupable à des accusations de violence conjugale, attendait son procès en prison depuis près de cinq ans.
Mais voilà, ce délai est aussi inacceptable que voir un homme accusé de meurtre quitter la prison sans avoir été jugé.
Comment en est-on arrivé là ?
LE POUVOIR DE L’ÉTAT
Dans un État libéral — la philosophie politique, pas le parti —, c’est le droit de l’individu à se défendre contre le pouvoir absolu de l’État qui prime. Ce n’est pas un caprice des «droits-de-l’hommistes» : l’État a le monopole de l’usage de la force et tout doit être mis en oeuvre pour qu’il soit limité et encadré.
Aux Philippines, le président Duterte permet que petits pushers et toxicomanes soient abattus dans la rue, comme des chiens. Non merci.
Personne, je l’espère, ne remet en question le droit au procès dans un délai raisonnable — imaginez-vous un instant accusé d’un crime que vous n’avez pas commis —, mais les victimes aussi ont des droits. Et les citoyens qui ont le droit d’être protégés des criminels.
QUI EST RESPONSABLE ?
Comment en est-on arrivé à ce qu’une pénurie de juges, de salles d’audience, de procureurs et de personnel administratif, cause principale des délais, porte atteinte au système de justice, le fondement de notre État de droit, de notre démocratie ?
Parce que la justice, comme les infrastructures, etc. ne «lèvent» pas aux élections. Construire des palais de justice et des prisons ne sera jamais aussi sexy que d’ouvrir des places en garderie, baisser les impôts, créer des subventions à l’emploi et autres mesures sociales universelles, alors que la justice, c’est juste pour les méchants.
Ah oui? Alexandre Livernoche, 13 ans, est mort en 2000 aux mains du pédophile Mario Bastien libéré par erreur en raison de la surpopulation à la prison de Trois-Rivières.
NOS PRIORITÉS
Le clientélisme, le jeu des promesses électorales, a toujours été au coeur de la vie politique, mais la complexité des sociétés modernes appelle à revoir la gestion des priorités citoyennes avant que la dysfonction systématique s’installe.
Il y a longtemps qu’on sait qu’il y a un manque criant de ressources à la justice. J’ai donc relu les engagements électoraux des principaux partis en 2014.
Rien sur la justice chez les Libéraux (ce qui doit expliquer le choix d’une ministre junior); rien au Parti Québécois (qui a trouvé de la place dans son programme pour «mourir dans la dignité», mais pas pour «être jugé dans la dignité»); rien à la CAQ; Québec solidaire parle de justice sociale, mais silence sur la justice tout court.
Au fédéral, responsable de la justice criminelle, rien, zilch, nada.
Nous avons raison d’être en colère de voir un homme accusé de meurtre se balader dans la nature, mais sans la Cour suprême, les politiciens auraient-ils entrepris de réparer le système de justice?
Il y a longtemps qu’on sait qu’il y a un manque criant de ressources à la justice