Le Journal de Montreal

Syrie : la guerre des intérêts

-

Ainsi l’attaque à l’arme chimique de Khan Cheikhoun le 4 avril dernier, attribuée à l’armée de Bachar Al-Assad, a donné à Donald Trump l’occasion d’effectuer un revirement spectacula­ire et d’ordonner des frappes avec des missiles Tomahawk sur l’une des bases aériennes du régime syrien.

Mais ce conflit ne peut être résolu par une simple tactique de parade, fût-elle aérienne. Cette guerre est d’abord et avant tout une guerre des intérêts de plusieurs acteurs nationaux et internatio­naux.

UNE POSITION STRATÉGIQU­E

Avant d’être dépecée par les puissances coloniales française et britanniqu­e, la Grande Syrie était au coeur d’une des civilisati­ons les plus brillantes. Traversée par la route de la soie, elle a longtemps été un carrefour du commerce, du savoir et de la connaissan­ce, et un point de rencontre des cultures méditerran­éennes, arabes, perses et indiennes. Sa position géographiq­ue en est une éminemment stratégiqu­e.

Pas étonnant qu’elle soit l’objet de tant de convoitise­s des pays limitrophe­s. En 2009, le Qatar voulait exporter son gaz vers l’Europe via l’Arabie saoudite et la Jordanie, et a proposé la constructi­on d’un gazoduc passant par la Syrie.

Bachar al-Assad s’y est opposé pour ne pas nuire aux intérêts de ses deux principaux alliés, la Russie, qui contrôle déjà des complexes gaziers en Syrie et qui y explore d’autres gisements, et l’Iran, qui cherche désespérém­ent une voie de passage vers la Méditerran­ée pour acheminer son gaz en direction des marchés européens.

Il optera, en 2011, pour le gazoduc reliant l’Iran à la Syrie, via l’Irak. Raison suffisante pour que l’Arabie saoudite et le Qatar lui déclarent la guerre en fournissan­t armes et argent aux groupes djihadiste­s en Syrie.

POURVOYEUR D’ARMES

Tirant profit de l’insurrecti­on populaire en Syrie, en 2011, le Qatar a réuni, dans une conférence à Doha en novembre 2012, les différents groupes rebelles, qui se sont engagés à lui permettre d’avoir un passage pour son gazoduc à destinatio­n de l’Europe via la Turquie. En contrepart­ie, on apprenait par le Financial Times, en mai 2013 que le Qatar avait dépensé 3milliards $ en deux ans pour armer les groupes djihadiste­s en Syrie.

Ainsi, en militarisa­nt les groupes rebelles et djihadiste­s en Syrie, le Qatar et l’Arabie saoudite ont contribué à l’essor de l’État islamique, qui les a intégrés au sein du califat avec armes et bagages et qui a porté sa terreur au coeur même des pays occidentau­x.

DE LA TACTIQUE À LA STRATÉGIE

Les frappes nocturnes ordonnées par Trump et dont la Russie a été avisée des heures à l’avance, relèvent davantage d’une tactique punitive à courte vue que d’une véritable stratégie porteuse d’espoir pour le peuple syrien.

Des Syriens meurent par dizaines, tous les jours. Ils sont cinq millions à avoir pris le chemin de l’exil. L’armée de Bachar Al-Assad, de même que l’ÉI et les groupes djihadiste­s ont fait usage de gaz sarin à répétition, avant que Barack Obama ne siffle la fin de la récréation, en août 2012, en associant les armes chimiques à une «ligne rouge qu’il ne faut pas franchir».

Or, si la vie des Syriens nous tient vraiment à coeur, ce n’est pas seulement l’utilisatio­n des armes chimiques qu’il faut condamner, mais l’utilisatio­n de toutes les armes. Il faut surtout condamner ceux qui en font un commerce lucratif, notamment les États-Unis, l’Europe et le Canada.

Il ne suffit pas d’ouvrir les portes pour accueillir les réfugiés syriens et de les exhiber dans des rituels de selfies indécents. Il faut leur donner la chance de retourner chez eux et leur assurer une paix durable pour reconstrui­re leur pays et retrouver leur famille et leur dignité.

Il est impératif que la communauté internatio­nale, sous les auspices des Nations unies, propose une stratégie globale pour résoudre ce conflit dévastateu­r qui ne peut être laissé au seul libre arbitre d’un président, fut-il celui des ÉtatsUnis. L’ONU doit cesser d’être un «arbre à palabres» et assumer le leadership qui

lui incombe.

 ??  ?? Politologu­e, consultant­e internatio­nale et conférenci­ère FATIMA HOUDA-PEPIN
Politologu­e, consultant­e internatio­nale et conférenci­ère FATIMA HOUDA-PEPIN
 ??  ?? Un enfant syrien blessé lors d’un raid aérien reçoit des traitement­s dans une clinique de fortune.
Un enfant syrien blessé lors d’un raid aérien reçoit des traitement­s dans une clinique de fortune.

Newspapers in French

Newspapers from Canada