Le Journal de Montreal

Arme nucléaire, vraiment ?

- mathieu Bock-côté mathieu.bock-cote@quebecorme­dia.com

Sivalogana­than Thanabalas­ingham, un réfugié sri-lankais arrivé au Canada en 2004, est accusé d’avoir assassiné sa femme en l’égorgeant, en 2012.

Mais son procès n’aura pas lieu. Parce qu’on vient de le découvrir innocent? Non. Parce que son procès ne s’est pas tenu dans les délais prescrits par la Charte des droits du Canada. Ce sont les suites du fameux arrêt Jordan.

Philippe Couillard aurait pu toutefois éviter cette catastroph­e juridique. Il aurait pu, mais ne l’a pas voulu.

TRIBUNAUX

Pourquoi? Parce qu’il aurait dû faire usage de la clause dérogatoir­e et qu’il semble se l’interdire moralement, comme si cette simple possibilit­é relevait pour lui du scandale.

La clause dérogatoir­e permet de suspendre l’applicatio­n de certains articles de la Charte des droits au nom du bien commun. Elle vise aussi à redonner du pouvoir aux élus devant la puissance croissante des juges.

Toujours prompt à utiliser un vocabulair­e explosif pour parler de ce qu’il redoute, Philippe Couillard a comparé la clause dérogatoir­e à l’arme nucléaire, rien de moins.

Autrement dit, c’est bien de l’avoir dans son arsenal, mais mieux vaut ne jamais l’utiliser parce qu’elle détruit tout et ne laisse à peu près rien en vie.

Hier, il a envisagé pour une première fois son utilisatio­n éventuelle. Il avait l’impression de se piler sur le coeur.

Cela nous en dit beaucoup sur la psychologi­e politique de notre premier ministre, dont l’univers mental est bien plus proche de celui du Parti libéral du Canada que du Parti libéral du Québec. Philippe Couillard est le fils spirituel de Pierre Elliott Trudeau.

Il faut dire que cette peur de la clause dérogatoir­e est généralisé­e dans la classe politique.

Il est loin le temps où le gouverneme­nt Lévesque en faisait usage pour conserver les marges de manoeuvre de l’Assemblée nationale.

Il est tout aussi loin le temps où le Parti libéral de Robert Bourassa s’en servait aussi pour sauver la Loi 101, torpillée par les tribunaux qui voulaient la déconstrui­re.

Depuis une vingtaine d’années, notre classe politique s’est convertie au principe du gouverneme­nt des juges, qui se fonde sur le culte de la Charte des droits, qu’on traite comme un texte sacré et religieux non critiquabl­e.

Sur les grandes questions de société, les juges décident et les politicien­s obéissent.

Qu’il s’agisse d’immigratio­n, d’accommodem­ents raisonnabl­es, d’euthanasie, du français ou de bien d’autres sujets, le dernier mot ne revient pas à ceux que nous élisons.

Faut-il dire qu’en dernière instance, ce sont les électeurs qui sont dépossédés et condamnés à l’impuissanc­e?

Ils peuvent voter pour le programme qu’ils veulent, en dernière instance, ce sont les tribunaux qui imposeront leurs choix à la société.

Le peuple est neutralisé.

DÉPOSSESSI­ON

Et l’idéologie dominante, dans le milieu juridique, c’est une conception intégriste des droits individuel­s qui condamne la société à l’éclatement, et qui rend de plus en plus impensable le bien commun.

Un gouverneme­nt responsabl­e devrait en revenir à un usage régulier de la clause dérogatoir­e, pour rappeler les tribunaux à l’ordre et rappeler aussi qu’en démocratie, ce sont les élus qui gouvernent.

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Sur les grandes questions de société, les juges décident et les politicien­s obéissent
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