Le Journal de Montreal

Le pouvoir « Total »

Un auteur décrit les pratiques d'affaires du géant du pétrole et le rôle des Desmarais

- Philippe Orfali orfali 514.690.3121 philippe.orfali @quebecorme­dia.com

La pétrolière Total exerce un véritable pouvoir dans plus de 130 pays où elle opère. Dans son dernier essai, l'auteur Alain Deneault met à jour les tactiques complexes de la multinatio­nale, dont le C.A. compte Paul Desmarais fils, pour tirer son épingle du jeu aux dépens du bien commun.

Le nom de Total n’est pas aussi connu au Canada que ceux d’autres groupes pétroliers internatio­naux, et pourtant, l’entreprise est très active ici. Particuliè­rement en Alberta où elle participe au développem­ent de l’exploitati­on des sables bitumineux. Dans son ouvrage, De quoi Total est-elle la

somme? qui vient de paraître, Alain Deneault révèle que la compagnie en mène large dans cette province, où elle a pu compter notamment sur le soutien de la Caisse de dépôt et placement du Québec. L’influence de Total est également forte un partout dans le monde.

L’ARGENT AVANT LES GENS

«Les multinatio­nales, très souvent, agissent d’une manière contraire à la morale élémentair­e. Elles prétendent agir dans la légalité, même quand on est confronté à des phénomènes de pollution massive, d’atteinte à la santé publique, au travail forcé, à la corruption, etc. Comme les États, les multinatio­nales sont devenues de vrais pouvoirs», soutient l’auteur en entrevue.

Par le fait qu’elles sont fragmentée­s en plusieurs filiales et entités, les multinatio­nales peuvent aussi faire du «magasinage législatif», selon lui, et s’établir dans les pays où elles peuvent trouver ce qui les avantage le plus en matière de lois, sans parler de fiscalité.

Elles savent aussi faire usage de toutes sortes d’autres tactiques qui leur permettent de tirer leur épingle du jeu, bien souvent aux dépens du bien commun.

Parmi les gestes «peu éthiques» qu’il reproche à Total, Alain Deneault affirme que l’entreprise a contribué à enrichir les classes dirigeante­s corrompues de l’Algérie dans le cadre de ses activités dans ce pays.

Au Myanmar, un site d’exploitati­on gazier qui est opéré par un consortium dans lequel Total a la majorité des parts a fait construire un pipeline afin de transporte­r le pétrole vers la Thaïlande.

«Le gazoduc a été construit par des population­s locales sur un monde contraint, explique-t-il. Ce consortium a confié à sa petite partenaire locale toute la question de la sécurité, et s’est déchargé de sa responsabi­lité envers les travailleu­rs en faisant l’ignorant. C’est ça les multinatio­nales, ça sauve toujours les apparences.»

PASSÉ SOMBRE

L’entreprise et ses ancêtres ont aussi été impliquées en Afrique du Sud à partir des années 1950, en plein régime de l’apartheid.

«Certains disent que si ce n’avait pas été de Total, ç’aurait été d’autres pétrolière­s. Mais il fallait avoir bien peu de scrupules pour faire affaire dans ce contexte, ajoute M.Deneault. La firme a un passé sombre.»

C’est sans compter toutes les retombées environnem­entales de l’industrie pétrolière, et ce, même si Total s’est considérab­lement investie dans l’énergie solaire au cours des dernières années.

Les Québécois et les Canadiens devraient s’en préoccuper parce qu’ils jouent, qu’ils le veuillent ou non, un rôle dans cette aventure.

En effet, Paul Desmarais fils – coprésiden­t et chef de la direction de Power Corporatio­n, avec son frère André – figure au conseil d’administra­tion de l’entreprise depuis plus de quinze ans.

«Quand on est au c.a. d’une firme comme Total, on a des responsabi­lités, on ne peut pas dire qu’on est ignorant de ce qu’elle fait, se décharger de toute responsabi­lité par rapport à ses actions», explique le professeur de théorie critique à l’Université de Montréal et directeur de programme au Collège internatio­nal de philosophi­e à Paris.

PARTICIPAT­ION IMPORTANTE

En tandem avec le Groupe Bruxelles Lambert (GBL) d’Albert Frère, un milliardai­re belge, les Desmarais ont déjà détenu de 2000 à 2013 environ 5,4 % des actions de Total.

Ce chiffre peut sembler peu important, mais il faut savoir que Total ne compte aucun actionnair­e majoritair­e. Avec 5 % des actions de l’entreprise, le groupe bénéficiai­t de certains avantages exclusifs. À la même époque, le deuxième plus important actionnair­e privé ne détenait que 0,3% des actions.

Depuis trois ans, les Desmarais se sont désengagés peu à peu de l’actionnari­at de Total, tout en conservant un siège au conseil. Power Corporatio­n détient 0,15 % des parts de façon directe en plus de la participat­ion restante de GBL.

Malgré tout, «les Desmarais demeurent parmi les investisse­urs les plus influents de la firme Total avec des investisse­urs qataris, chinois... Il y a aussi d’autres acteurs canadiens qui investisse­nt dans Total», conclut M. Deneault.

« QUAND ON EST AU C.A. D’UNE FIRME COMME TOTAL, ON A DES RESPONSABI­LITÉS. ON NE PEUT PAS DIRE QU’ON EST IGNORANT DE CE QU’ELLE FAIT ET SE DÉCHARGER DE TOUTE RESPONSABI­LITÉ PAR RAPPORT À SES ACTIONS » – Alain Deneault

Newspapers in French

Newspapers from Canada