Le Journal de Montreal

L’étonnante ascension

Dans les années 1980, l’attaquant avait émergé d’un club junior B pour vivre de beaux moments avec le Canadien

- Pierre Durocher PDurocherJ­DM

Tout au long de la saison, Réjean Houle accueille d’anciens joueurs du Canadien dans un salon situé à proximité du vestiaire, au Centre Bell.

Pour un journalist­e, c’est une occasion en or de faire de belles rencontres, comme celle qu’on a eue récemment avec le jovial Gilles Thibaudeau.

Les partisans du Canadien qui sont âgés de 40 ans et plus n’ont pas oublié l’époque où l’équipe se faisait un devoir de favoriser l’embauche de joueurs québécois.

Il y avait alors une vive compétitio­n avec les Nordiques, ce qui incitait Serge Savard et son groupe de dépisteurs à être toujours à l’affût.

C’est ainsi que dans les années 1980, un joueur inconnu du nom de Gilles Thibaudeau était sorti des rangs d’une équipe junior B à Saint-Antoine, près de Saint-Jérôme, pour se retrouver quelques années plus tard avec le Canadien.

L’histoire avait fait couler pas mal d’encre à l’époque.

AU BOUT DE SES RÊVES

«Je travaillai­s de nuit comme chauffeur de chariot élévateur chez la compagnie Box Craft à Ville Saint-Laurent et je jouais au hockey pour m’amuser, rappelle Thibaudeau, 34 ans plus tard. Jamais je n’aurais pu penser qu’un jour, j’allais porter les couleurs du Canadien. On peut dire que j’étais allé jusqu’au bout de mes rêves les plus fous.»

Aujourd’hui technicien au centre d’assistance pour réparation­s auprès des clients d’affaires chez Bell Canada, Thibaudeau, 54 ans, joue avec grand plaisir pour l’équipe des Anciens Canadiens.

«C’est mon idole d’enfance, Guy Lafleur, qui dirige l’équipe, souligne-t-il avec émotion. Je suis privilégié d’avoir eu la chance de jouer pour le Canadien et d’être encore traité aux petits oignons aujourd’hui par l’organisati­on.

«Je n’ai disputé que 58 matchs à Montréal, mais chaque moment passé avec l’équipe a marqué ma vie», confie celui qui a un fils, Nicolas, qui mène une belle carrière à Viège, en Suisse, et qui est aussi membre de l’équipe championne de la Ligue nationale A, les Ours de Berne.

Peux-tu nous parler de tes premiers moments avec le Canadien?

«Jamais je n’oublierai le jour où Serge Savard m’a offert un contrat de la LNH, que je m’étais empressé de signer le 9 octobre 1984 à titre de joueur autonome. J’avais récolté 140 points, dont 63 buts, avec l’équipe junior B de Saint-Antoine, et mes performanc­es étaient venues aux oreilles des recruteurs du Canadien. Cela m’avait valu une invitation pour un essai avec les Canadiens de Sherbrooke, dirigés par Pierre Creamer. Je m’étais ensuite retrouvé à Flint, dans la Ligue internatio­nale, où j’ai récolté 52 buts et 97 points en 71 matchs au cours de la saison 1984-85, étant couronné recrue de l’année dans la ligue. J’ai joué à Sherbrooke durant trois saisons, amassant 96 points en 59 matchs en 1987-88. J’ai eu le plaisir de soulever la coupe Calder en 1985, même si je n’avais pas vu d’action dans les séries.»

Quels souvenirs conserves-tu de ta première journée passée avec le Canadien?

«Il est impossible d’oublier la première fois que je suis entré dans le vestiaire de l’équipe et que j’ai vu mon nom en haut d’un casier. Je me souviens que j’avais longuement regardé les photos des légendes sur le mur et je n’en croyais pas mes yeux de me retrouver dans ce lieu mythique. Le photograph­e Toto Gingras, un cousin de loin, était bien fier de moi. Ma photo s’était retrouvée en page frontispic­e du Journal de Montréal, car mon histoire sortait de l’ordinaire. André Boudrias était même venu me chercher à l’aéroport lors de mon rappel de Sherbrooke pour me conduire au Forum. Ils étaient très rares, les joueurs à avoir gradué du calibre junior B à la Ligue nationale, sans passer par le niveau junior majeur. J’occupais le premier rang des marqueurs de la Ligue américaine au moment de mon rappel.»

Te souviens-tu de la date et de l’endroit où tu as compté ton premier but dans la LNH?

«Bien sûr que oui. J’ai conservé la plaque souvenir à la maison. J’en étais à mon second match avec le Canadien, le 4 février 1987, quand j’ai déjoué Mario Gosselin, des Nordiques, au Forum.»

Quels ont été tes plus hauts faits d’armes avec le Canadien?

«À mon premier match éliminatoi­re en 1988, j’ai obtenu deux buts et une mention d’aide dans une victoire contre les Whalers. Je peux aussi me vanter d’avoir

fourni la passe sur le 50e but de Stéphane Richer, but inscrit lors du dernier match de la saison 198788, soit le 3 avril, à Buffalo. On jouait à 5 contre 3 et Bobby Smith avait remporté la mise en jeu. J’avais refilé le disque à Richer à la pointe. Stéphane n’avait pas raté son coup. J’avais été surpris de me retrouver sur la patinoire dans de telles circonstan­ces, mais Jean Perron me faisait souvent confiance.»

Est-il vrai que Stéphane Richer te taquine encore à ce sujet?

«Stéphane, qui est resté un bon ami et avec qui j’ai beaucoup de plaisir à jouer avec l’équipe des Anciens Canadiens, aime bien raconter à tout le monde que j’ai obtenu une passe sur son 50e but. Ça m’a toujours fait un p’tit velours d’avoir participé à ce but historique de Richer. Il était tout un franc-tireur. Stéphane avait dû marquer cinq buts lors des deux derniers matchs de la saison contre les Sabres pour atteindre ce plateau magique, un exploit qu’il a réédité deux ans plus tard. Aucun autre joueur du Canadien n’a connu une saison de 50 buts depuis ce temps.»

Quelle fut ta plus amère déception?

«J’ai pris part à 32 matchs avec le Canadien en 1988-89 et j’ai bien cru qu’on avait l’équipe pour remporter la coupe Stanley cette année-là. J’aurais tellement aimé vivre ça. Malheureus­ement, les Flames de Calgary nous ont battus en grande finale. Quelques mois plus tard, je me suis retrouvé avec les Islanders de New York, où je n’ai pris part qu’à 20 matchs, faute de place dans la formation qui misait alors sur des joueurs de centre comme Bryan Trottier, Brent Sutter et Pat Lafontaine. Les Islanders m’ont échangé aux Maple Leafs peu de temps avant Noël. J’ai connu du succès au sein d’un trio en compagnie de Vincent Damphousse et de Daniel Marois, mais malheureus­ement pour moi, je me suis blessé à un genou à la suite d’un coup salaud d’Ulf Samuelsson.»

Tu as ensuite poursuivi ta carrière en Suisse durant neuf ans. Comment ça s’est passé?

«Ce fut une très belle expérience de vie, malgré la barrière de la langue, et je suis heureux de voir que mon fils a suivi mes traces là-bas. J’ai connu trois saisons d’affilée de 30 buts et plus avec Lugano et Davos, dont une de 51 buts en 36 matchs, en 1992-93. Mes services ont été prêtés à l’équipe canadienne pour le tournoi de la Coupe Spengler en 1995 et j’ai participé à la conquête du championna­t.»

Après une dernière saison à Sierre, on t’a vu dans l’uniforme des Chiefs de Laval, de la Ligue sénior, en 2000-01. Ça devait être particulie­r de jouer dans ce type de circuit dont les vedettes étaient de rudes bagarreurs?

«L’expérience n’a duré que 23 matchs. J’étais chanceux de jouer pour les Chiefs parce que c’était l’équipe la plus robuste de la ligue. Je me sentais bien protégé lors des nombreuses bagarres! J’ai cessé de jouer parce que c’était devenu trop dangereux. J’ai accroché mes patins après 18 saisons chez les profession­nels et je suis retourné aux études pour terminer mon secondaire. Je travaille pour Bell Canada depuis 11 ans. J’ai un quart de travail de nuit et ça ne me dérange pas. Je suis habitué. Le bon côté, c’est que je n’ai pas à composer avec les bouchons de circulatio­n!»

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ?? 1
Gilles Thibaudeau n’a disputé que 58 matchs avec le Canadien, mais il est toujours accueilli chaleureus­ement par Réjean Houle au salon des anciens au Centre Bell. Thibaudeau avait les yeux grands à son arrivée dans le vestiaire du Canadien le 30...
1 Gilles Thibaudeau n’a disputé que 58 matchs avec le Canadien, mais il est toujours accueilli chaleureus­ement par Réjean Houle au salon des anciens au Centre Bell. Thibaudeau avait les yeux grands à son arrivée dans le vestiaire du Canadien le 30...

Newspapers in French

Newspapers from Canada