L’apprenti sorcier
WASHINGTON | Il commence À se développer une hABitude chez ceux qui s’intéressent À lA présidence AméricAine : on écoute DonAld Trump, puis on lève les épAules. Soit pAr décourAgement, pArce de toute évidence, il ne sAit pAs de quoi il pArle, soit À cAuse du pAssAge d’un frisson d’effroi devAnt des propos provocAteurs ou dAngereux.
Vendredi dernier, par exemple, le président Trump a évoqué les tensions avec la Corée du Nord dans une interview à l’agence de presse Reuters. Lui qui a envoyé vers la péninsule coréenne un porte-avion et des sous-marins «encore plus puissants» — une «armada» comme il s’en vantait lui-même avertissait qu’ «il y avait un risque que nous finissions avec un conflit majeur, majeur (la répétition vient de lui) avec la Corée du Nord. Absolument!»
En temps normal, comme lorsque les présidents Bush, père et fils, se sont mis — le premier en 1990, le second en 2003 — à menacer Saddam Hussein en Irak, toute l’attention se tourne vers ce conflit à venir. Les médias déploient leurs énergies et leurs meilleurs reporters vers la région; le Conseil de sécurité de l’ONU multiplie les réunions dans l’espoir de trouver une issue pacifique; bref, le monde entier serre les dents.
Cette fois-ci avec Donald Trump? Haussement d’épaules! D’ennui pour certains, de frayeur pour d’autres. Les États-Unis, pas plus que la Corée du Sud, le Japon ou la Chine, n’ont aucune envie ni même les moyens d’une nouvelle guerre de Corée. Et les NordCoréens, même si Kim Jong-un est un sinistre mythomane, se doutent bien que leur régime ne survivrait pas à de telles hostilités.
LE MÉNAGE PAR LE FEU
Je vous donne un autre exemple, moins tragique. Hier matin, sur Twitter, le président Trump s’est plaint d’avoir dû faire des compromis avec ses opposants démocrates sur le budget visant à financer l’État fédéral jusqu’à l’automne : «a mess…», un gâchis, à son avis. Sa solution : «Notre pays a besoin d’un bon shutdown (paralysie) en septembre pour réparer ce désordre.»
Sauf qu’un shutdown, c’est la catastrophe pour des millions de personnes: des fonctionnaires dont le versement des salaires sera reporté; des milliers de commerces liés au gouvernement fédéral qui fermeront, faute de clientèle; des musées inaccessibles, etc. Standard & Poor’s a calculé qu’un tel shutdown de 16jours en 2013 avait coûté 24 milliards de dollars à l’économie américaine.
La réaction au tweet du président: haussement d’épaules, encore une fois. Il n’a pas idée, selon ceux qui connaissent le sujet, de ce qu’il dit. La conséquence de tout cela, comme l’a bien résumé Chuck Todd, animateur de l’émission Meet The Press sur les ondes NBC, c’est que «nous sommes déjà conditionnés à mettre de côté les propos du président».
PEU IMPORTE CE QU’IL DIT
Steven Pearlstein, le chroniqueur économique du Washington Post, constate lui aussi que «ce que dit Trump importe peu, parce que cela a peu de chance d’avoir un lien avec la vérité, avec ce qu’il a dit en campagne électorale ou avec une politique ou une vision du monde cohérente».
Ce qui est tragique — et je laisse le dernier mot à un humoriste, HasanMinaj, l’animateur invité au souper des correspondants de la Maison-Blanche samedi dernier — c’est que les partisans du président n’en démordent pas et le soutiennent toujours. «Peut-être parce nous vivons en ces temps étranges où la confiance est plus importante que la vérité.» Jusqu’où se laisseront-ils ainsi conduire?
Les États-Unis, pas plus que la Corée du Sud, le Japon ou la Chine, n’ont aucune envie ni même les moyens d’une nouvelle guerre de Corée.