Une élection sous la menace de l’apocalypse
WASHINGTON | C’est tout de même assez rare que les campagnes électorales, ailleurs dans le monde, génèrent autant d’intérêt. Admettons qu’on ne s’ennuie pas ces jours-ci: elles s’enchaînent depuis quelques mois, chacune aussi fascinante que la précédente.
Aux États-Unis d’abord avec Trump qui, à la surprise de tous, a passé Clinton au fil d’arrivée; Macron en France aujourd’hui, devenu le dernier rempart devant l’extrême droite de Le Pen; difficile d’imaginer plus captivant, non?
Et pourtant, en Corée du Sud, les électeurs vont voter mardi non seulement pour remplacer une présidente destituée à la suite d’un spectaculaire scandale de corruption, mais aussi pour décider quelle attitude adopter à l’égard d’un voisin qui menace, un jour sur deux, de réduire le pays en cendres.
ÉVITER L’ANÉANTISSEMENT
Rien pour mettre les choses en perspective comme d’être menacé de destruction nucléaire. Les Sud-Coréens ont oscillé, au fil des ans et des élections, entre tenir tête au régime communiste du nord et tendre la main dans l’espoir de l’apaiser.
Cette fois-ci, alors que la Corée du Nord se prépare, selon les experts, à effectuer un sixième essai nucléaire et que, de l’autre côté de l’océan Pacifique, le président américain s’agite en envoyant vers la région porte-avion et sous-marins, les électeurs sud-coréens s’apprêtent à remettre le pouvoir à un homme qui cherche tout, sauf le trouble.
Moon Jae-in, le candidat du Parti démocrate, se dirige vers une solide victoire, selon les sondages. Ancien avocat de défense des droits de la personne et chef de cabinet du président Roh Moo-hyun dans les années 2000, Moon a mis l’accent sur les réformes économiques et sociales que tant de Sud-Coréens exigent après le scandale de corruption qui a conduit à la chute de la présidente Park Geun-hye.
Moon a toutefois été rattrapé, au cours de cette campagne éclair, par les réalités diplomatiques: d’un côté, Pyongyang, ses missiles et son programme nucléaire, de l’autre, Washington et son imprévisible président.
LE RETOUR DU « RAYON DE SOLEIL »
Le candidat de 64 ans porte un jugement implacable à l’égard de la politique de confrontation adoptée, au cours des 10 dernières années, par les gouvernements sud-coréens conservateurs face à la Corée du Nord: loin de placer Kim Jong-un sur la défensive, le jeune leader nord-coréen n’a fait que durcir son ton, maintenir un niveau alarmant élevé d’investissements militaires et percevoir toute coopération avec les Américains comme une «provocation révoltante».
Moon Jae-in — aux portes de la «Maison bleue», la Maison-Blanche sud-coréenne — a su jouer des approximations du président américain. Donald Trump, tout en affirmant que les États-Unis allaient se charger euxmêmes de régler la crise nord-coréenne si la Chine ne pouvait pas aider, a étonné tout le monde en avançant la semaine dernière qu’il serait «honoré» de rencontrer Kim Jong-un.
«Le président Trump», a indiqué Moon Jae-in au Washington Post, «est plus raisonnable qu’on le perçoit généralement. Il utilise une rhétorique forte envers la Corée du Nord, mais pendant la campagne présidentielle, il s’est dit prêt à discuter avec Kim Jong-un devant un hamburger.»
Une approche pragmatique dont il veut s’inspirer.
Ce qui s’annonce, en fait, c’est le retour de la «politique du rayon de soleil», une politique de conciliation qui, au début des années 2000, a rapproché les deux Corées. L’apaisement n’a pas duré, mais pendant quelques années, les tensions ont réellement baissé dans la péninsule. C’est ce à quoi semblent aspirer les électeurs sud-coréens, pris dans la tourmente une nouvelle fois.