Le Journal de Montreal

Le procès de Marie-Angélique ( 1734 )

-

La moitié de Montréal brûle. Nous sommes le 10 avril 1734. Montréal est alors une ville peuplée de quelque 5000 habitants. Elle compte une centaine de bâtiments et 46 d’entre eux vont être réduits en cendres! La rue Saint-Paul est dévastée. L’Hôtel-Dieu y passe. Plusieurs centaines de personnes se retrouvent à la rue. Heureuseme­nt que c’est le début du printemps! Rapidement, on soupçonne une incendiair­e, Marie-Josèphe-Angélique, une esclave noire originaire du Portugal, établie en Nouvelle-France depuis une dizaine d’années.

Cette dernière aurait craint d’être vendue. Amoureuse d’un certain Claude Thibaud qui venait de sortir de prison, c’est pour fuir avec cet amant peu recommanda­ble que la jeune femme de 29 ans aurait mis le feu à son grenier afin de faire diversion pendant son évasion vers les colonies anglaises. Deux mois plus tôt, elle avait déjà essayé de faire ce voyage, mais les autorités l’avaient rattrapée.

Le procès de Marie-Angélique fut l’un des plus importants de la Nouvelle-France. Une vingtaine de personnes vinrent témoigner contre elle. Quant aux autorités, elles menaçaient l’accusée, en vérité tenue coupable avant toute forme de procès, de la brûler vive…

VÉRITÉ OU MENSONGE

Comme elle s’obstinait à clamer son innocence, on lui imposa le supplice des brodequins, qui broyaient les os des jambes… Alors, sous la torture, elle avoua. N’importe qui aurait avoué à sa place. Moi aussi, j’avouerais avoir allumé l’incendie de 1734 si on me cassait les os de la sorte! Parce qu’on n’était plus à l’époque médiévale des bûchers et que, par ailleurs, on déplorait l’usage de ce supplice extrêmemen­t répandu chez les Amérindien­s, on fit un compromis. Au lieu d’être brûlée vive, la «coupable» fut pendue le 21 juin 1734, puis son cadavre fut brûlé. En souvenir de sa mort, un parc situé près de la station Champ-de-Mars porte aujourd’hui son nom.

Il manque encore un élément essentiel à cette histoire pour qu’elle soit complète: Marie-Angélique étaitelle ou non responsabl­e de l’incendie? Actuelleme­nt, bien sûr, la mode est de dire qu’elle était innocente et de la dépeindre comme la victime d’une justice sommaire se hâtant d’incriminer une femme noire afin de trouver un bouc émissaire. La vérité, toutefois, c’est que… nous n’en savons rien! Il y a quelque chose de paradoxal, voire de pervers, à vouloir en faire une héroïne quand, franchemen­t, nul n’a aucune idée de ce qu’il s’est réellement passé. Actuelleme­nt, nous sommes «certains» de l’innocence de Marie-Angélique...

Et cette histoire tragique, dont on ne sait au fond à peu près rien, est utilisée par certains pour dénigrer notre passé, en ôtant toute dignité à nos ancêtres, pour cesser de les connaître. Vous allez voir: le procès de Marie-Josèphe-Angélique finira par être la seule histoire qu’on enseignera à vos enfants. À force de ressasser ainsi des événements choquants du passé pour discrédite­r humainemen­t nos ancêtres, ce sera un jour à notre tour de disparaîtr­e dans ce fumier qui nous tiendra lieu de mémoire. Le procès que l’on fait à l’histoire de la Nouvelle-France est aussi truqué et jugé d’avance que l’a été celui intenté à Marie-JosèpheAng­élique.

 ??  ?? 1. Cette actrice déguisée en Marie-Angélique s’adresse aux enfants dans le cadre d’une activité du Centre d’histoire de Montréal. Ceux-ci doivent refaire son procès. Bien sûr, ils l’innocenten­t. 2. Ce portrait de Marie-Angélique par l’artiste...
1. Cette actrice déguisée en Marie-Angélique s’adresse aux enfants dans le cadre d’une activité du Centre d’histoire de Montréal. Ceux-ci doivent refaire son procès. Bien sûr, ils l’innocenten­t. 2. Ce portrait de Marie-Angélique par l’artiste...

Newspapers in French

Newspapers from Canada