Le Journal de Montreal

Un homme rose ?

- Jacques Lanctôt Collaborat­ion spéciale

Je suis loin d’être un homme rose. Je suis un produit de mon époque et de mon éducation. À 15 ans, je fredonnais les chansons de Georges Brassens, entre autres celle-ci, Une jolie

fleur: «Elle n’avait pas de tête, elle n’avait pas/L’esprit beaucoup plus grand qu’un dé à coudre/Mais pour l’amour on ne demande pas/aux filles d’avoir inventé la poudre…» On n’est pas loin du «sois belle et tais-toi!», mais à oncle Georges, on pardonnait ces maladresse­s.

Entre cette attitude plutôt misogyne, et celle du gars qui se croit irrésistib­le et interpelle dans la rue les femmes qu’il trouve de son goût, il y a un équilibre qu’il faut trouver, par respect pour les femmes, nos compagnes, et aussi, tout simplement, pour ne pas rater le bateau de la modernité. Être ringard en amour, ça ne fonctionne pas.

Lili Boisvert tente, dans cet essai limpide comme de l’eau de roche, de poursuivre notre éducation sexuelle, à nous les hommes, qui en avons grand besoin. On a beau atteindre un âge vénérable, il n’est pas certain qu’on ait tout compris de la sexualité féminine.

Qu’il y ait encore des mononcles qui se prennent pour des irrésistib­les et qui s’emportent lorsqu’une femme résiste à leurs avances grossières, ou qui les traitent de salopes pour s’exciter le poil des jambes ne m’étonne donc pas. On a fermé les tavernes, mais les conversati­ons propres à ce genre de lieu de la mâlitude perdurent. Les stéréotype­s ont la vie dure. Il y a souvent un déséquilib­re entre le désir et l’excitation de l’une et de l’autre. La lecture de cet ouvrage devrait nous amener sur la bonne longueur d’onde.

Si la fétichisat­ion du corps féminin: «Seins. Fesses. Bouche. Jambes. Pieds. Chevelure», tient souvent de l’obsession, le corps des hommes est loin de faire l’objet d’un tel culte. Nous sommes toujours dans la relation chasseur-proie, actif et passif, et la femme-proie est la grande perdante dans ce rapport inégal. L’auteure démontre comment cette soi-disant «passivité sexuelle intrinsèqu­e des femmes» contribue à la culture du viol. D’où la nécessité de déconstrui­re ces rapports, qui ne sont nullement fondés sur la nature humaine.

COMPLEXES MASCULINS

Là où le bât blesse, c’est lorsque l’auteure présente l’homme comme un prototype universel n’ayant ni doutes sur ses capacités ou «compétence­s», ni questionne­ments sur son physique. Peut-être un tel homme sans complexe existe-t-il dans la vraie vie, c’est-à-dire ailleurs qu’au cinéma, mais je n’en connais pas autour de moi. Des hommes fragiles, ça existe bel et bien. Des hommes vulnérable­s qui se demandent s’ils peuvent encore plaire et séduire, ça existe. Des hommes qui n’aiment pas leur physique, leurs cheveux gris ou leur calvitie, leur bedon, leurs rides, ça existe également. Et je ne parle pas ici de performanc­es sexuelles. Hommes et femmes, nous sommes tous aussi dépendants des modèles qui nous vantent telle marque, telle posture, telle attitude, tel look. Finalement, nous ne sommes pas si différents.

Lili Boisvert évoque aussi le phénomène de la femme couguar et son opposé, le couple homme vieillissa­nt et femme dans la jeune vingtaine. Jusqu’où mène l’attrait de la jeunesse? Un désir de reproducti­on pour l’homme? Ou la recherche d’une meilleure jouissance sexuelle pour la femme? D’autres explicatio­ns sont proposées, comme ce besoin, chez l’homme, de pervertir ce qui est pur. Les hommes chercherai­ent «le contraste entre l’archétype de la femme douce et naïve et celui de la femme dépravée par le sexe». La femme doit évoquer l’innocence tout en éveillant le désir sexuel. Montrer et cacher. Un joli paradoxe.

Intéressan­te également cette atrophie de l’organe voméro-nasal chargé de détecter les phéromones stimulant la libido, au profit du sens de la vue, nouveau siège de la séduction. D’où l’importance du vêtement, voyant, moulant, qui distingue l’une et l’autre.

Puis elle aborde l’éternelle question de l’orgasme au féminin. Ne sommesnous pas encore et toujours «obsédés par l’idée de trouver le bouton magique des organes génitaux féminins»? Conclusion: il faut «abolir le principe du cumshot et les clichés sexuels qui le soutiennen­t» pour atteindre l’égalité homme-femme.

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Le principe du cumshot – Le désir des femmes sous l’emprise des clichés sexuels Lili Boisvert VLB éditeur
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