Le Journal de Montreal

Se sentir de trop

- Marc Therrien

Les discussion­s entourant la diffusion de 13 reasons why, qui ont coïncidé avec la Semaine nationale de la santé mentale, ont été l’occasion de réfléchir à nouveau sur la question du suicide. Elles ont parfois démontré qu’il est bien tentant de réduire et de simplifier la problémati­que du suicide à une maladie mentale non traitée, la transforma­nt ainsi en un problème individuel. On ressent alors la prégnance du scientisme et du pouvoir médical dans notre société lorsqu’on préfère médicalise­r la souffrance sociale pour se donner l’espoir de mieux la maîtriser. Avant même qu’on le transforme en une conséquenc­e d’une maladie mentale, le suicide est d’abord, depuis toujours, un problème philosophi­que profond pouvant révéler et traduire une souffrance existentie­lle ou morale absolue de l’humain qui cherche un sens à tout ce qui lui arrive et qui le dépasse. Le phénomène social mis en scène dans 13 reasons why traduit bien le symptôme de ce qui ne fonctionne plus quand le mode d’organisati­on de la société individual­iste hédoniste, où autrui peut être transformé en un simple objet qu’on utilise pour son bon plaisir, atteint ses limites. Quel individu hédoniste, obnubilé par sa recherche personnell­e de gratificat­ions immédiates dans sa poursuite incessante du bonheur, est vraiment disponible pour accueillir la souffrance d’autrui qui, malheureus­ement pour lui, ne réussit pas comme les autres à s’intégrer dans ce même projet de jouir intensémen­t de la vie au moment présent? On souffre maintenant seul avec son thérapeute quand on réussit à en trouver un. Ainsi, de façon totalement paradoxale, le suicide, par le silence absolu de la personne souffrante qui prend ce moyen ultime de crier tout son mal de vivre qui ne peut être entendu, provoque un arrêt momentané de la course, permettant d’écouter un peu ce qui ne va plus en nous et autour de nous.

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