Se sentir de trop
Les discussions entourant la diffusion de 13 reasons why, qui ont coïncidé avec la Semaine nationale de la santé mentale, ont été l’occasion de réfléchir à nouveau sur la question du suicide. Elles ont parfois démontré qu’il est bien tentant de réduire et de simplifier la problématique du suicide à une maladie mentale non traitée, la transformant ainsi en un problème individuel. On ressent alors la prégnance du scientisme et du pouvoir médical dans notre société lorsqu’on préfère médicaliser la souffrance sociale pour se donner l’espoir de mieux la maîtriser. Avant même qu’on le transforme en une conséquence d’une maladie mentale, le suicide est d’abord, depuis toujours, un problème philosophique profond pouvant révéler et traduire une souffrance existentielle ou morale absolue de l’humain qui cherche un sens à tout ce qui lui arrive et qui le dépasse. Le phénomène social mis en scène dans 13 reasons why traduit bien le symptôme de ce qui ne fonctionne plus quand le mode d’organisation de la société individualiste hédoniste, où autrui peut être transformé en un simple objet qu’on utilise pour son bon plaisir, atteint ses limites. Quel individu hédoniste, obnubilé par sa recherche personnelle de gratifications immédiates dans sa poursuite incessante du bonheur, est vraiment disponible pour accueillir la souffrance d’autrui qui, malheureusement pour lui, ne réussit pas comme les autres à s’intégrer dans ce même projet de jouir intensément de la vie au moment présent? On souffre maintenant seul avec son thérapeute quand on réussit à en trouver un. Ainsi, de façon totalement paradoxale, le suicide, par le silence absolu de la personne souffrante qui prend ce moyen ultime de crier tout son mal de vivre qui ne peut être entendu, provoque un arrêt momentané de la course, permettant d’écouter un peu ce qui ne va plus en nous et autour de nous.