Le Journal de Montreal

Un moment d’attendriss­ement

- Denise BomBarDier denise.bombardier@quebecorme­dia.com

L’époque actuelle, qui nous tient en haleine à tout instant avec ses nouvelles plus perturbant­es les unes que les autres, est en train d’avoir raison de nous. Les chroniqueu­rs comme les lecteurs passionnés d’informatio­n sont secoués par des indignatio­ns permanente­s, qui se télescopen­t et s’estompent dans une frénésie épuisante.

Tous les malheurs du monde pénètrent désormais nos vies grâce à la technologi­e, si bien qu’aucune horreur ne nous est épargnée. Tous les délires et les bassesses des êtres humains nous atteignent. Il nous faut donc fuir cette trépidatio­n si l’on ne veut pas se laisser envahir par toutes les passions tristes comme la colère, le dégoût, l’envie, le désir de vengeance ou le ressentime­nt.

Je demeure partagée entre sa tristesse et l’espérance qu’il incarne et nous console de la laideur quotidienn­e.

CRISE MORALE

Certains se protègent en pratiquant l’angélisme, problémati­que s’il est le fait des politicien­s, ou le cynisme dans lequel s’enferment les narcissiqu­es, qui font tourner le monde autour de leur nombril. La lucidité, la capacité d’émerveille­ment et le retour vers le dépassemen­t personnel et collectif deviennent essentiels pour comprendre cette époque qui a les contours d’une crise morale.

Cette semaine, un petit garçon de onze ans que j’ai croisé dans la rue à Paris – mais cela aurait pu se passer à Montréal – m’a ramenée dans le monde de la vérité, de l’émotion authentiqu­e, profonde et bouleversa­nte, qui fait éclater tous nos clichés.

VIEILLE ÂME

Je l’ai remarqué parmi ses camarades au sortir de son école. Sa beauté m’a attendrie. Une petite fille plus grande que lui marchait à ses côtés. Au moment de se séparer, elle a lancé «au revoir» et a couru pour traverser la rue. Il est resté à mes côtés avec trois autres camarades, deux garçons et une fille, et il a sorti de sa poche cette petite toupie qui fait fureur parmi tous les enfants. «Montre-moi comment ça fonctionne», ai-je demandé. Il a fait tourner l’objet avec vigueur dans le creux de sa main. «C’est tout?», ai-je dit. «Oui, mais ça déstresse», a-t-il répliqué. Je me suis alors penchée vers lui, discrèteme­nt: «Mais tu n’as pas besoin d’être déstressé. J’ai vu ta très jolie copine.» Il m’a regardée avec des yeux qui se sont embués. «Elle vient de me quitter», a-t-il murmuré. Il était effondré. «Mais elle va sûrement revenir vers toi», ai-je répondu sans conviction. «Hélas, non! Je crois qu’elle ne m’aime plus». Le feu était vert et nous avons traversé la rue ensemble. «C’est dur, vous savez», a-t-il ajouté. Comment consoler ce garçon à peine sorti de l’enfance? «Au revoir, Madame», a-t-il dit avant de courir rejoindre ses copains. «Bon courage», ai-je lancé. Il s’est de nouveau immobilisé et il m’a regardé avec gravité: «J’en aurai bien besoin». Puis, il a disparu dans la foule.

Cet enfant, habité par une passion si pure, aimera toujours les femmes avec intensité, délicatess­e et subtilité. Et je demeure partagée entre sa tristesse et l’espérance qu’il incarne et nous console de la laideur quotidienn­e.

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