Les inondations étaient prévisibles, selon un expert
Surveiller les crues permettrait d’épargner des milliards de dollars, dit-il
Investir quelques dizaines de millions de dollars en prévention et recherches permettrait d’épargner des milliards en sinistres, estime Philippe Gachon, professeur de géographie à l’UQAM. L'expert en risques climatiques livre un véritable coup de gueule envers les gouvernements provincial et fédéral, qui auraient pu prévenir les inondations des dernières semaines, mais ont failli à tous les niveaux, selon lui.
Qu’auraient pu faire les autorités afin de mieux préparer le terrain pour les récentes inondations?
Il y a des secteurs qui sont sous l’eau depuis quatre semaines. Il y a longtemps que l’armée aurait dû intervenir. Dès le mois de mars, les ministères auraient dû avoir des réunions régulières. La quantité de neige reçue cet hiver a été exceptionnelle. Il y a un mois, il était déjà clair que les conditions étaient semblables à celles de 2011 [qui ont précédé les inondations de la rivière Richelieu]. Un drapeau rouge aurait dû être levé pour que des équipes soient dépêchées sur le terrain pour mesurer les conditions (voir encadré). Aussi, la population n’a pas été informée à temps.
A-t-on tiré des leçons des inondations de la Richelieu de 2011?
Pas vraiment. Il y a encore plein de municipalités qui n’ont pas de plans d’urgence. Après le désastre, il n’y a pas eu de réel retour d’expérience pour voir ce qui aurait pu être amélioré, alors que dans la plupart des pays du G7, c’est fait de façon systématique. En France, après les inondations de Paris l’an dernier, un bilan a été réalisé avec tous les ministères impliqués. Après les canicules mortelles de 2003, plein de rapports ont été produits, qui ont conduit à l’instauration d’un système de vigie-canicule. Ici, après le déluge de Saguenay, est-ce qu’on a fait ça? Non.
Faut-il blâmer les riverains qui ont construit ou acheté une maison en zone inondable?
Non, car le public est mal informé. La plupart ne connaissent pas les risques d’être inondés chez eux. Dans plusieurs Villes, il n’y a aucune carte des zones inondables. Sous le gouvernement Charest, la responsabilité de créer ces cartes a été transférée aux municipalités, qui n’ont ni la compétence ni les ressources pour les établir. De plus, les Villes sont en conflit d’intérêts, car c’est plus intéressant pour elles de permettre aux résidents de se construire sur les bords de l’eau que de créer des zones de débordement qui ne leur rapporteront pas de taxes foncières. Bref, c’est le freefor-all.
À long terme, de quelle façon nos gouvernements ont-ils failli?
Pour prévenir les inondations, il faut modéliser tous les facteurs de risque pour établir un système de vigilance des crues. Il y a des années qu’Environnement Canada souhaite implanter un tel système, mais l’organisme subit des compressions depuis 15 ans. Il y a quelques années, Couillard a notamment coupé 20 % du Fonds de recherche du Québec. Quand il se balade partout en hélicoptère, il est parfaitement au courant de ça. Notre équipe de l’UQAM alimente notamment le centre Ouranos, qui étudie notre climatologie régionale. Si rien ne change, une partie de notre équipe de l’UQAM va disparaître par manque de financement d’ici décembre et Ouranos sera moins capable de voir venir les crues […] Il y a une culture du court terme qui fait qu’on ne s’occupe de ces problèmes que lorsqu’ils arrivent.
Comment se comparent le Québec et le Canada aux autres?
On est largement en bas des autres pays du G7. La France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne ont toutes des vigiescrues.
Et les inondations risquent de devenir de plus en plus fréquentes avec les changements climatiques?
Oui. Ce qu’on vit en ce moment, ce n’est que la pointe de l’iceberg. Investir quelques dizaines de millions de dollars dans la surveillance et la recherche pourrait permettre d’épargner des milliards en dégâts. Qu’est-ce qu’on attend?
« CE QU’ON VIT EN CE MOMENT, CE N’EST QUE LA POINTE DE L’ICEBERG [...] QU’EST-CE QU’ON ATTEND? » – Philippe Gachon