Le Journal de Montreal

Petites boules ou grosses boules ?

- JOSEPH FACAL joseph.facal@quebecorme­dia.com

Et si on prenait une pause de Trump, des inondation­s, du PLQ et de la «convergenc­e» anti-PLQ ?

Avez-vous vu le magnifique reportage intitulé Bowling Blues, publié dans la version électroniq­ue du Journal de Montréal?

Après 60 ans d’existence, un endroit mythique pour les amateurs vient de fermer: le salon de quilles Champion à Longueuil.

Avec ses 77 allées, c’était le plus grand au Canada. Les habitués vivent un deuil.

Signe des temps, un promoteur le rasera pour y construire des résidences pour personnes âgées.

Le reportage rend à merveille cet univers pittoresqu­e d’aînés qui se retrouvent et veulent bouger plus qu’au bingo, de maniaques de la performanc­e, de boules multicolor­es et de souliers fabuleux.

SEULS

Cela m’a ramené en tête un livre fascinant.

En l’an 2000, un éminent politologu­e de l’Université Harvard, Robert Putnam, publia un livre intitulé Bowling Alone.

Il avait remarqué que plus de gens jouaient au bowling qu’avant, mais que les inscriptio­ns dans les ligues organisées de bowling baissaient.

De plus en plus, on jouait au bowling seul ou avec toujours le même petit groupe d’amis.

Putnam a vu dans ce bowling solitaire un reflet de notre époque.

Il s’est en effet aperçu qu’il y avait une baisse généralisé­e du membership dans les partis politiques et les organisati­ons de type communauta­ire.

On fait du bénévolat, mais épisodique­ment, et pas au sein d’une organisati­on. On vote, on chiale, mais on ne milite plus.

On s’engage surtout dans des organisati­ons qui défendent NOS intérêts, NOS droits, NOTRE cause.

Putnam a donné le nom de «capital social» à toutes ces interactio­ns concrètes, face à face, entre des individus de chair et de sang, comme la ligue de bowling.

Ce sont elles, dit-il, qui permettent de tisser de vrais liens, de construire des communauté­s solidaires, un authentiqu­e tissu citoyen.

Or, ces interactio­ns se réduisent de plus en plus. Il n’y a jamais eu autant de solitude.

Dans la rue où vous habitez, vous connaissez le nom de combien de vos voisins?

Le problème, dit Putnam, est qu’une démocratie forte nécessite des citoyens engagés et participat­ifs.

Notre isolement affaiblit le tissu social, l’arène publique et, ultimement, la démocratie.

BULLE

Est-ce seulement parce que nous sommes dégoûtés par nos politicien­s, se demande-t-il?

Non, c’est surtout parce que nous passons de plus en plus de temps «scotchés» devant la télé, devant notre ordinateur, pitonnant frénétique­ment sur notre téléphone intelligen­t.

On s’isole dans des bulles où l’on ne reçoit que les «informatio­ns» filtrées pour renforcer nos opinions. On n’écoute que les avis de nos «amis».

On peut littéralem­ent se mettre à l’abri de toute opinion contraire qui pourrait nous faire réfléchir et évoluer.

Bientôt, les casques de réalité virtuelle achèveront de nous enfermer dans la pseudo-réalité ultraréali­ste que chacun se commandera.

Pourra-t-on encore parler d’une société?

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Dans la rue où vous habitez, vous connaissez le nom de combien de vos voisins ?
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