Le Journal de Montreal

Les débuts de la crise linguistiq­ue (1968)

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Ce qui devait arriver arriva. Les Québécois finissent par se rebiffer contre l’anglicisat­ion. Surtout celle des immigrants. La liberté de choisir la langue d’enseigneme­nt incitait en effet ces derniers à choisir l’anglais, ce qu’ils faisaient de façon presque systématiq­ue, dans 90 % des cas!

En 1968, à Saint-Léonard, qui est alors une banlieue, quand la communauté italienne veut que la seule école secondaire de leur ville soit anglaise, ça ne passe pas. Il y a des maudites limites! À cette époque, un an après le «Vive le Québec libre!» du général de Gaulle, le Rassemblem­ent pour l’indépendan­ce nationale (RIN) de Marcel Chaput et Pierre Bourgault est encore actif et, au sein de la jeunesse québécoise éduquée, influent. Pour sa part, le FLQ s’en prend à des symboles britanniqu­es, mais l’on est loin de se douter que la crise d’Octobre, en 1970, donnera à Pierre Elliott Trudeau le plaisir de déployer son armée dans la ville. À Saint-Léonard, un avocat, Raymond Lemieux, à la tête des parents francophon­es, fera en sorte que le français soit la seule langue d’enseigneme­nt. Les rejetons de familles italiennes doivent donc apprendre au primaire la langue de leur peuple d’accueil au lieu de contribuer à son assimilati­on…

Des écoles clandestin­es sont créées. Ce refus grossier, à la limite du racisme, d’apprendre le français des «pea soups», de la part d’une population latine et catholique, illustre une nouvelle ligne de fracture, qui n’est plus d’ordre religieux, mais linguistiq­ue. Alors que le reste du Canada a tout fait pour éliminer, par la force de la loi, le français, le Québec est pressé, au nom du bilinguism­e, de s’angliciser sans rechigner.

La réaction contre cette tentative d’étouffer le Québec et de fouler aux pieds sa langue est vigoureuse. Les années 1960 et 1970 sont celles du grand amour du français, du moins chez les artistes. La crise de Saint-Léonard est donc un moment charnière. L’année suivante, votre humble chroniqueu­r, alors tout jeune, participe en personne à la manifestat­ion monstre «McGill français» en scandant des slogans enflammés.

LA BULLE « ANGLOSPHÉR­IQUE »

Après l’accession au pouvoir du Parti québécois en 1976, la population anglophone, à travers ses journaux, atteint des niveaux d’hystérie inégalés: René Lévesque est comparé à Hitler, et Camille Laurin au docteur Mengele! Une partie de Montréal fait mentalemen­t sécession d’avec le reste du Québec et s’isole dans une bulle «anglosphér­ique» si hostile au français que, parfois, même s’ils ont mon âge, des gens qui ont vécu à Montréal toute leur vie n’en parlent pas un traître mot. Déjà à cette époque, la gauche radicale, celle qui a la cote auprès des jeunes d’aujourd’hui, s’oppose à la loi 101. Ils assimilent la cause linguistiq­ue à du «nationalis­me», chose qu’ils exècrent. Malheureus­ement, cette mentalité paranoïaqu­e prévaut chez les Gabriel Nadeau-Dubois et compagnie. En désertant le champ de bataille linguistiq­ue, bataille trop «nationaleu­se» à leur goût, ils oeuvrent sans le savoir à leur propre défaite… Ils pavent également la voie au Parti libéral du Québec, dont ils favorisent le maintien au pouvoir ad vitam aeternam, un PLQ qui a décidé, depuis la crise de Saint-Léonard, de marcher sur la ligne de la pseudo-paix pour engranger automatiqu­ement les votes des immigrants — avec succès!

 ?? PHOTOS COURTOISIE DES ARCHIVES MUNICIPALE­S DE MONTRÉAL ?? L’orateur politique hors pair Pierre Bourgault, chef du Rassemblem­ent pour l’indépendan­ce nationale, était constammen­t dans l’arène en train de se battre pour le Québec et pour le français.
Les chantres du nationalis­me des années 1960. On y reconnaît...
PHOTOS COURTOISIE DES ARCHIVES MUNICIPALE­S DE MONTRÉAL L’orateur politique hors pair Pierre Bourgault, chef du Rassemblem­ent pour l’indépendan­ce nationale, était constammen­t dans l’arène en train de se battre pour le Québec et pour le français. Les chantres du nationalis­me des années 1960. On y reconnaît...
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