Le Journal de Montreal

Regard sur la vie de Truman Capote

Avec ce brillant roman, la romancière américaine Melanie Benjamin s’est penchée sur l’amitié qui a longtemps uni l’écrivain Truman Capote et la personnali­té mondaine, Babe Paley. Une histoire d’amour et de trahison.

- KARINE VILDER

À New York, on les appelait les cygnes. Parce qu’en plus de baigner dans un univers où l’argent coulait à flots, elles étaient si belles et si racées qu’on se battait bec et ongles pour les avoir dans les soirées mondaines.

Vers le milieu des années 1950, «Slim» Hawks Hayward Keith (dont le style a notamment inspiré Lauren Bacall), Marella Caracciolo di Castagneto (une authentiqu­e princesse italienne mariée à l’héritier de l’empire Fiat), Gloria Guinness (alors considérée comme l’une des femmes les mieux habillées de la planète), Pamela Churchill Hayward Harriman (également surnommée «la dernière grande courtisane», l’Aga Khan, le baron Elie de Rothschild, Stavros Niarchos, Maurice Druon ou Franck Sinatra ayant tous succombé à ses charmes) et Babe Cushing Mortimer Paley (célébrissi­me icône de l’élégance paraissant régulièrem­ent à la une du Vogue ou du Harper’s Bazaar) finiront ainsi par rencontrer l’écrivain Truman Capote, la toute nouvelle star des lettres américaine­s.

«Après avoir publié La femme de l’aviateur [qui raconte l’histoire de la femme de Charles Lindbergh], je n’avais pas la moindre idée de ce que j’allais ensuite écrire, confie Melanie Benjamin, qu’on a pu joindre chez elle à Chicago. Et puis j’ai aperçu dans ma bibliothèq­ue Prières exaucées, le roman inachevé de Truman Capote. Je savais qu’il y avait eu un énorme scandale à propos du premier chapitre (intitulé La Côte basque), mais je ne me rappelais pas les détails. À ce moment-là, je n’avais lu aucun des livres de Truman Capote et la seule image de lui qui me venait spontanéme­nt à l’esprit, était celle d’un homme vieillissa­nt, ravagé par l’alcool et les drogues. La fin de son existence a été un tel désastre que j’ai été curieuse de découvrir comment sa lente descente aux enfers avait commencé et, à force de fouiller, je me suis rendu compte que le scandale lié à ce premier chapitre, paru sous forme de nouvelle en 1975 dans le magazine Esquire, avait dû fortement y contribuer.»

Faits pour s’entenDre

Avec Les Cygnes de la Cinquième Avenue, Melanie Benjamin remonte donc jusqu’en 1955, pour décrire avec moult détails l’amitié très particuliè­re qui n’a pas tardé à unir Truman Capote et Babe Paley. Une amitié qui permettra à Truman d’avoir ses entrées dans la haute société new-yorkaise et qui permettra à Babe d’avoir enfin quelqu’un à qui se confier. «Même si elle semblait mener une existence de rêve, son richissime mari [William S. Paley, le fondateur du réseau CBS] pourvoyant largement à ses besoins, Babe était terribleme­nt seule et triste», explique Melanie Benjamin.

Conditionn­ée depuis sa plus tendre enfance à toujours se montrer sous son meilleur jour, Babe savait en effet si bien se servir de crèmes et de fards pour masquer ses plus noirs sentiments qu’en la voyant, personne ne pouvait deviner à quel point elle était malheureus­e. Pas même ses amies cygnes. Mais exercé à regarder au-delà des apparences, son métier d’écrivain lui ayant appris à sonder en douce l’âme de ses contempora­ins, Truman Capote sera frappé par la vulnérabil­ité de cette femme trop parfaite qui, peu importe ce qu’elle portait ou ce qu’elle faisait, était aussitôt imitée par des milliers d’Américaine­s.

«De nombreux articles de magazine et quelques bios ont déjà décrit leur fascinante relation, qui s’étendra sur près de deux décennies, ajoute Melanie Benjamin. Je ne suis donc pas la première à en faire mention. Je suis juste la première à lui consacrer un roman!»

le chant Du cygne

À la fois capable de la faire rire aux éclats et de l’écouter sérieuseme­nt, Truman Capote sera l’un des rares hommes avec qui Babe Paley s’entendra à merveille. Son homosexual­ité écartant d’emblée jeux de séduction et amours déçues, elle lui parlera de ses manques et il lui racontera son enfance passée à Monroevill­e, Alabama. Elle s’épanchera sur sa terne réalité d’épouse mal aimée et il lui dévoilera pourquoi il a toujours tenté de plaire à sa mère. Elle lui révèlera ses secrets les plus intimes et il la trahira en rédigeant La Côte basque, une nouvelle dans laquelle la plupart de ces confidence­s seront couchées noir sur blanc et diffusées à travers les ÉtatsUnis.

«Personne ne sait pourquoi il a écrit cette nouvelle, précise Melanie Benjamin. Peut-être parce qu’après De sang-froid, il était tellement désespéré qu’il a été au plus facile : écrire sur la vie des autres. À cause de ça, Babe et lui ne se sont plus jamais reparlé. Ce qui a dû être très difficile pour Truman, sa relation avec Babe ayant été l’une des plus importante­s de son existence…»

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ?? Les Cygnes de la Cinquième Avenue Melanie Benjamin, aux Éditions Albin Michel, 424 pages
Les Cygnes de la Cinquième Avenue Melanie Benjamin, aux Éditions Albin Michel, 424 pages

Newspapers in French

Newspapers from Canada