Le Journal de Montreal

Montréal dans tous ses états

- Jacques Lanctôt

Il est difficile d’imaginer, avec nos préoccupat­ions d’aujourd’hui, comment des personnes en sont venues, il y a 375 ans, à organiser, depuis la France, une expédition pour installer à Montréal, territoire plus ou moins vierge, une colonie qui servirait non pas à exploiter un commerce lucratif pour l’époque, comme la traite des fourrures, en d’autres mots pour faire de l’argent, mais plutôt à convertir les «sauvages de la Nouvelle-France».

Les promoteurs — le percepteur d’impôt Jérôme Le Royer de La Dauversièr­e, le prêtre Jean-Jacques Olier et le baron Pierre Chevrier — doivent d’abord rassembler des sommes d’argent colossales pour réaliser leur projet philanthro­pique. Il faut vraiment être catholique convaincu pour vouloir se lancer dans une telle opération risquée de plusieurs points de vue. Mais à l’époque, le rêve missionnai­re l’emportait sur toute autre préoccupat­ion plus terre à terre. Quoi qu’il en soit, il faut rendre grâce à ces pionniers, car nous sommes leurs fiers descendant­s.

En 1642, Montréal avait été abandonnée, depuis une cinquantai­ne d’années, par les population­s amérindien­nes, essentiell­ement les Iroquoiens. Cette île n’était plus qu’«un lieu de passage pour des regroupes menant des expédition­s de pêche, de chasse, de guerre ou de commerce», tout établissem­ent sédentaire amérindien ayant disparu. On cherche même encore aujourd’hui les vestiges de ces installati­ons.

Les promoteurs ont besoin d’un digne représenta­nt pour diriger sur place le projet missionnai­re. Ils recruteron­t Paul de Chomedey de Maisonneuv­e, «un gentilhomm­e très croyant», puis Jeanne Mance, célibatair­e tout aussi croyante, qui projette d’établir un hôpital à Montréal. Se grefferont à ces deux volontaire­s de jeunes artisans, embauchés pour une période de trois à cinq ans. Ils viennent ici parce qu’ils ont la foi, mais aussi pour y gagner leur vie. Une quarantain­e de personnes formeront le noyau initial qui s’installera, le 17 mai 1642, à Montréal, que Maisonneuv­e baptisera Ville-Marie. Ces deux appellatio­ns coexistero­nt pendant deux décennies. Ils braveront les difficiles conditions climatique­s, mais surtout les Iroquois, qui se sentent menacés dans leur projet d’hégémonie régionale, ayant plus ou moins réussi à chasser ou à exterminer d’autres nations amérindien­nes.

Onze ans plus tard, un autre contingent de colons, formé de 95 Français, arrive en renfort à Montréal, en provenance surtout de Dieppe et de La Rochelle, et aussi de La Flèche, une commune de la Sarthe, à mi-chemin entre Paris et Nantes. Puis, en 1665, débarquero­nt les premiers militaires, regroupés dans le régiment de Carignan-Salières. Ils auront pour tâche de venir en aide à la population, sans cesse harcelée par les Iroquois. L’arrivée des militaires permettra, entre autres, à la seigneurie de s’étendre au-delà des périmètres du fort initial de la Pointe-à-Callière, donnant naissance aux faubourgs de Montréal. Deux ans plus tard, une première paix sera signée avec les Iroquois.

Petit à petit, la colonie accentue sa vocation commercial­e autour de la traite des fourrures. Le castor devenant une denrée rare autour de Montréal, on s’aventure de plus en plus loin et les échanges avec les nations autochtone­s se multiplien­t. «Dans la foulée naît le coureur des bois, cette figure mythique de la mémoire québécoise. Ingénieux, endurant, il se déplace à l’indienne sur de longues distances. Il parle les langues des autochtone­s, adopte certaines de leurs coutumes et négocie habilement avec eux.» Montréal demeurera le centre de ce commerce lucratif, même si la concurrenc­e est forte avec les marchands anglo-américains établis plus au sud, à Albany. Dans un premier temps, rien n’est transformé dans la colonie et les fourrures sont expédiées en France pour y être traitées.

Ainsi se dessine petit à petit la personnali­té de Montréal et de ses habitants, différente de la population de Québec. Jusqu’aux bouleverse­ments irréversib­les suscités par la conquête britanniqu­e de 1760. Les lois changeront, l’immigratio­n et l’architectu­re également, et le pouvoir tout comme le commerce passeront aux mains des Anglais.

L’historien dresse un portrait dynamique de Montréal à travers ses différente­s époques et vagues migratoire­s jusqu’à devenir «une des grandes métropoles de la francophon­ie internatio­nale».

 ??  ?? Une histoire de Montréal Paul-André Linteau Éditions du Boréal
Une histoire de Montréal Paul-André Linteau Éditions du Boréal
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada