Le Journal, mon outil d’intégration
Il en a coulé de l’encre depuis la parution du premier numéro du Journal de Québec (le 6 mars 1967) qui fête, cette année, son 50e anniversaire.
J’ai débarqué à Québec dans la nuit du 5 janvier 1975, venue tout droit du Maroc, pour étudier à l’Université Laval. Avec toutes ces maisons ensevelies sous la neige, je ne me voyais pas y passer trois ans.
LE JOURNAL, un 6 JAnvIEr 1975
Le lendemain, au petit-déjeuner, j’ai cherché les journaux de la place et on m’a apporté Le Journal de Québec. Réflexe automatique, j’ai cherché la page internationale. Déception, il n’y en avait pas.
La page titre indiquait que «Le Bonhomme est en ville». Mon arrivée dans la capitale nationale, il y a 42 ans, coïncidait donc avec le 21e Carnaval de Québec.
C’est ainsi que j’ai su que le Bonhomme Carnaval était descendu, la veille, de l’hélicoptère des Forces armées canadiennes sur les plaines d’Abraham devant une foule de près de 10 000 personnes.
Le maire de Québec d’alors, Gilles Lamontagne, en était fier, ajoutant au passage: «Vous avouerez que je ne suis pas comme le maire de Montréal. Moi, j’aime parler avec tout le monde. Le Carnaval, c’est pour toute la population, riches et ouvriers, sans distinction» (p. 2).
Dès ce premier numéro, l’immersion pour moi fut totale. Non seulement j’y découvrais ce festival du froid, sans nul autre pareil, et bien d’autres informations locales utiles à mon enracinement, mais je venais aussi d’avoir mon cours 101 sur les rivalités Québec-Montréal.
Les autres pages de l’édition du 6 janvier étaient consacrées au sport, beaucoup de hockey, un peu de Super Bowl et de ski, l’horaire de la TV, l’horoscope, les petites annonces, et à travers ça, une nouvelle de Diane Juster mise au repos pour un mois, un publireportage pour âmes seules, l’inquiétude des Américains et des Européens face à la montée du chômage et quelques entrefilets de nouvelles internationales, où on disait notamment que:
1. «Le ministère britannique de la Défense a levé le secret de fabrication du VX, un gaz de combat qui attaque le système nerveux et dont une seule gouttelette sur la peau est mortelle lorsque ce produit est sous la forme liquide ».
On sait aujourd’hui que Bachar Al-Assad et Saddam Hussein ont gazé leurs populations civiles, mais sur ceux qui fabriquent ces gaz chimiques et les vendent, depuis des décennies, aux potentats du monde, c’est silence radio.
2. Le Journal nous apprenait aussi que le ministre de l’Énergie du Canada devait partir «pour le Venezuela, pays dont proviennent 60% de toutes les importations canadiennes de pétrole. Comme des dirigeants vénézuéliens ont dit que leur pays songe à réduire sa production pétrolière, M. Macdonald veut avoir l’assurance que nous pourrons continuer à nous approvisionner abondamment en pétrole au Venezuela».
Qui aurait cru que l’idéologie bolivarienne d’Hugo Chavez qui a dominé, sans partage, pendant quatorze ans, la sphère politique, économique et sociale, mènerait un jour son pays à la ruine, jusqu’à affamer la population?
quAnD un JournAl DEvIEnT AmI
Les immigrants vivent des déchirements profonds avant de s’intégrer dans leur société d’accueil. Rien ni personne ne les y prépare adéquatement. Le plus dur est de faire le deuil de son pays, de sa famille et de ses amis, sans se dessoucher complètement.
À l’Université Laval, nous étions peu d’étudiants africains. Le vendredi soir, des amis changeaient le monde dans des débats interminables autour d’un bon tagine que je leur préparais.
Le plus difficile était de trouver la viande d’agneau, les fines herbes, le safran, le cumin et la menthe fraîche que je me faisais livrer d’Ottawa. Des années plus tard, quand je rencontrais des coopérants québécois en Afrique qui s’ennuyaient de leur ketchup, je leur en apportais à chaque voyage.
À Québec, il y a une quarantaine d’années, le dépaysement était total. Pour la Méditerranéenne que j’étais, le climat était carrément hostile. Je ne comprends toujours pas comment on peut dire qu’il fait beau, quand il fait moins 10.
Et puis, il y avait tous ces sacres qu’il fallait décoder. Quand quelqu’un disait Tabarnak, Calice, Ciboire ou Hostie, je ne savais pas s’il était content ou fâché. J’ai fini par en adopter un. Et dans les rares fois où ça sort de ma bouche, tout le monde en comprend le sens. Finalement, ce sont les gens du pays et les amitiés qui m’ont attachée si profondément à Québec et au Québec.
Et puis il y avait ce journal qui ne me parlait pas d’Afrique et des enjeux internationaux et que j’ai fini par adopter au point d’en faire mon outil d’intégration.
APPrIvoISEr ET ComPrEnDrE
Le Journal de Québec me parlait de ce que je ne savais pas et devais savoir. Il m’a fait découvrir l’est du Québec, des régions que je visite avec un immense plaisir. Québec, que je trouvais de prime abord inhospitalière, est devenue l’une des villes que j’aime le plus au monde.
Le Journal m’a permis d’apprivoiser et de comprendre le Québec, ses acteurs politiques, ses personnages singuliers, un pan de son histoire et sa vie artistique et culturelle.
Forte de cette expérience, en 1990, j’ai demandé et obtenu un abonnement annuel gratuit à son jumeau, Le Journal de Montréal, pour une quinzaine de femmes immigrantes dont j’avais coordonné un programme de francisation menant au marché du travail.
Évidemment, je ne me suis jamais doutée qu’un jour je ferais partie de cette équipe de chroniqueurs, d’horizons si différents, qui fait la richesse du Journal.